Impertinences

Arrêtons de sous-estimer Stéphane Dion, ça lui rend service!

Stéphane Dion, chef du Parti libéral du Canada! On aurait dit ça il y a à peine quelques mois que tout le monde serait parti à rire. À l’annonce de sa candidature, plusieurs analystes chevronnés de la scène politique disaient qu’il n’avait aucune chance et qu’il n’y allait que pour faire valoir ses idées au sein du parti. C’étaient les mêmes qui annonçaient la mort du Bloc Québécois avec l’arrivée de Paul Martin, qui allait rétablir la paix constitutionnelle. Comme quoi en politique, ces dernières années, on va de surprise en surprise…

Et l’ex-rat de Chapleau promu maintenant au rang de castor en chef pourrait continuer de surprendre. Quand j’ai vu le commentaire de Bernard Landry à son sujet, comme quoi son arrivée à la tête des libéraux fédéraux était presque une condition gagnante pour la souveraineté, ça m’a tout de suite fait grincer des dents. Arrêtez de l’haïr! Arrêtez de le sous-estimer, il s’en sort toujours grandi!

D’abord, en rétrospective, il était très imprudent de ne pas le considérer dès le départ comme un gagnant potentiel. On est au Parti libéral du Canada, for Christ’s sake, le parti qui a rapatrié la Constitution unilatéralement, qui a torpillé l’accord du lac Meech, qui a voté la loi sur la clarté référendaire et tout le plan B visant à faire peur aux souverainistes mous.

Et parmi les candidats qui avaient une chance, Dion représentait clairement cette vision. Bob Rae avait peut-être une chance. Mais Ignatieff? Oubliez ça. Reconnaître la nation québécoise? Au Parti libéral du CANADA? C’est déjà beau qu’il se soit rendu si loin.

Il y a aussi le manque de charisme de Stéphane Dion, cette raideur de premier de classe fendant qui l’a fait passer sous le radar des observateurs. C’est vrai que ce gars-là donne l’impression d’avoir toute sa vie tété les profs pour être nommé responsable du ballon dans les récréations, pour ensuite imposer ses règles à tout le monde. Pas très sexy comme image.

Mais regardez Stephen Harper. On est loin de Trudeau. Même Mulroney et Paul Martin avaient plus d’éclat. Il ne faut pas non plus oublier que le politicien moderne qui a mené le plus souvent son parti à la victoire, au Québec, c’est Robert Bourassa. Faudrait peut-être se rendre à l’évidence que le charisme en politique, du moins au Canada et au Québec, c’est aussi important que d’être beau pour un gardien de but…

En fait, j’ai même l’impression que Stéphane Dion n’a pas gagné MALGRÉ son absence de charisme, mais bien un peu GRÂCE à ça. Michael Ignatieff a la gueule d’un winner audacieux, ce qui donnait à la part de ses idées qui déplaisait à une majorité de libéraux une brillance qui dérangeait. Bob Rae a dans la face une suffisance de politicien de carrière un peu drabe mais tellement classique qu’on a le goût de lui rentrer dedans.

Mais Stéphane, ce pauvre petit pigeon déplumé à qui personne n’accordait la moindre chance, ce courageux fétu de paille ballotté par ses puissants rivaux, ce pur que même la tornade des commandites a épargné de ses souillures, on ne peut pas lui en vouloir (pas quand on est un militant libéral, on s’entend…). Dès que Kennedy est arrivé derrière lui au premier tour, c’était joué.

Bien sûr, il a travaillé fort. Il a joué la carte de l’environnement à fond, a ramené à l’avant-scène les valeurs libérales face à la guerre et aux relations internationales. Reste que Dion vient de remporter une course à la direction qui a largement été un concours de circonstances. D’ailleurs, les militants libéraux eux-mêmes ne semblaient plus trop sûrs de celui qu’ils venaient d’élire, à la fin du congrès. Il fallait voir les délégués applaudir au cours du discours victorieux du successeur de Paul Martin. À mesure qu’ils constataient la piètre maîtrise de l’anglais de leur nouveau chef (ça faisait vraiment dur!), on aurait dit que les libéraux se regardaient entre eux en se disant: "C’est ça qu’on vient d’élire?"

C’est sûr, Stéphane Dion, chef du Parti libéral du Canada, c’est du bonbon pour un humoriste ou un caricaturiste. Mais les souverainistes devraient se retenir de s’en servir comme d’une tête de Turc. Stéphane Dion est très intelligent. Il va confronter les indépendantistes à leurs contradictions et à leur mollesse, il va parler d’environnement, il va s’entourer du charisme qui lui manque avec Justin Trudeau, il va donner à la jeunesse québécoise qui rêve de l’indépendance du Québec pour faire un pays plus vert, plus gentil, plus pacifique et démocratique toutes les occasions de s’imaginer que, finalement, ça peut être le Canada.

Toute une frange du mouvement indépendantiste s’en trouvera décontenancée. Et si, pour répliquer, on se contente de ridiculiser Stéphane Dion, de se laisser aller aux claques qu’il donne envie qu’on lui donne, il va se passer quelque chose de très grave. Si on est trop méchant avec lui, Stéphane Dion va se mettre à faire pitié. Et ça, au Québec, ça peut rapporter très gros…