Impertinences

Perdre pied en Afghanistan

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le Canada est en guerre sur deux fronts, ces temps-ci. Il y a le front en Afghanistan qui oppose nos soldats aux Talibans. Et il y a le front local, où le gouvernement Harper affronte les idéaux pacifiques de la majorité des Canadiens et des Québécois.

On essaie de nous vendre la guerre. À coup de publicité, de visites de ministres et de belles images aux nouvelles. Mais ce n’est pas précisément la guerre en Afghanistan qu’on essaie de nous vendre. En fait, on se sert de l’Afghanistan pour nous vendre le concept même de la guerre. Et faut avouer que ça marche.

C’était facile d’être contre la guerre en Irak. Le mensonge des armes de destruction massive était un gros bonhomme Sept heures inventé de toutes pièces, et le lien entre Saddam et Al Qaida était un fil de soie dentaire. Et il y avait le pétrole, motivation suprême de ces drogués de l’or noir que sont les Américains.

En Afghanistan, c’était plus équivoque. Le régime taliban avait clairement des liens avec Ben Laden. Il était épouvantablement rétrograde et opprimait les femmes. Il y a bien les pipelines de gaz et autres intérêts économiques et stratégiques, mais les prétextes pour y aller étaient plus forts et les raisons pour douter du bien-fondé de l’intervention, plus floues.

Et puis, ça faisait du bien de dire qu’on était contre la guerre en Irak, mais qu’on était pour l’intervention en Afghanistan. Ça prouvait qu’on n’était pas une mauviette, qu’on n’était pas contre toutes les guerres, mais juste contre celles qui étaient injustifiées ou condamnées à échouer.

Mais maintenant qu’on y est, tout l’arsenal est déployé pour que la population appuie les troupes sans rien remettre en question. Et la première stratégie consiste à créer des héros. Des morts au combat à saluer.

Vous avez vu le soldat Frédéric Couture et sa famille à la télévision? Le gars vient de perdre un pied dans une explosion en Afghanistan. Mais ce qu’on a vu, ce n’est pas une victime de la guerre, c’est un solide gaillard nullement découragé de cette mutilation, affirmant qu’avec les progrès de la technologie d’aujourd’hui, il aurait bientôt une prothèse qui lui permettrait de faire tout ce qu’il faisait avant. Autrement dit: y’a rien là. C’est le genre de courage qu’on admire chez un joueur de hockey qui réussit à jouer malgré les blessures. Un Bob Gainey. Et sa famille l’appuyait dans son choix et était fière de lui. La meilleure pub pour l’armée canadienne depuis des lustres.

Et ça, c’est sûr que ça va attirer des jeunes. C’est autre chose que de croupir au cégep en administration et ne pas trop savoir ce qu’on va faire de son avenir. À un moment donné, étudier, analyser, comprendre, accepter, négocier, ça va faire. Ça prend de l’action. Il n’y a pas grand-chose de plus solide sur lequel on peut se construire qu’un ennemi. Faut tuer des Talibans. Yes, sir! C’est simple comme un jeu vidéo, comme scorer des buts.

Bien sûr, dans la propagande de l’armée, on voit des gens souriants, des diplomates qui se serrent la main, des enfants heureux de recevoir des bonbons d’un soldat. On voit aussi des hélicoptères, des guns, des situations dramatiques mais claires. Tout pour faire rêver n’importe quel ti-cul qui a déjà joué avec un G.I. Joe. Avec en prime l’impression de combattre le Mal. La publicité de recrutement de l’armée joue précisément là-dessus. Fini, le "si la vie vous intéresse", maintenant, c’est "Combattez la peur, la détresse, le chaos".

Je sais bien que c’est le propre de n’importe quelle pub en partant. Je doute que les annonces de recrutement pour les vidangeurs montrent des condoms souillés, des restes de légumes pourris et des fonds de litière. Mais ce qu’on camoufle ici est bien pire. Ce qu’on cache, c’est qu’on tue sans trop savoir si ça sera utile.

Dans l’édition d’octobre-novembre du magazine À bâbord, Raymond Legault, membre d’Objection de conscience et militant du collectif "Échec à la guerre", relate une lettre que le caporal Anthony Boneca avait envoyé à sa famille. Il disait qu’il n’en pouvait plus d’être en Afghanistan et qu’il avait l’impression que l’armée l’avait trompé parce que "ce n’est vraiment pas comme à la télé". Plus tard, il est tombé au combat. On l’a traité en héros. Évidemment, rien sur ses doutes quant à l’utilité de la mission…

On peut s’en laver les mains en disant que nos soldats sont des volontaires et qu’ils appuient la mission en Afghanistan. C’est vrai qu’il n’y a pas de conscription ni de contrainte physique. Mais l’embrigadement se fait dans la fausse représentation et la propagande. Le courage est admirable. Mais ce ne sera jamais une raison pour arrêter de se demander s’il est bien utilisé.