Impertinences

Faiblement racistes

Je ne comprends pas. Ça fait des années que les Québécois s’offusquent quand un scribouillard canadien-anglais laisse supposer qu’ils sont racistes et là, boum, les voilà qu’ils s’avouent eux-mêmes racistes. Il a suffi qu’un sondeur leur pose la question, tout candidement, et c’est sorti. Ben oui, on est racistes. Un peu, juste un peu, comme tout ce qui se fait au Québec est "juste un peu". Mais un peu racistes, quand même.

Ah, bon? Les champions de la tolérance, les belles déclarations sur le nationalisme civique, l’inclusion et l’interculturalisme, c’était de la poudre aux yeux? Il fallait montrer patte blanche pour obtenir notre permis d’exister, mais nous n’en pensions pas moins? Allons donc!

Il faut voir avec quelle extrême rigueur le sondage a été mené. Pas de définition claire du mot racisme et aucune mise en contexte pour vérifier auprès des sondés si c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce coup de sonde s’inscrit en droite ligne dans la nouvelle tendance des sondages biaisés et sensationnalistes qui servent à faire des unes criardes au Journal de Montréal. Et puis, quel choix de réponses! Le plus populaire a été "faiblement raciste". On pourrait presque croire qu’il s’agit d’un compliment.

Sans doute les répondants ont-ils réagi comme s’ils étaient à la confesse. "Oui, mon père, je m’accuse des fois de trouver mon voisin juif bien ridicule avec son coat noir et ses boudins, et je me surprends à faire plus attention quand je croise un automobiliste asiatique dans la circulation." Faute avouée étant à moitié pardonnée, on a l’impression que le sondage a plutôt servi d’expiation que de portrait juste de la situation.

N’empêche, ce sondage-là me semble révéler bien maladroitement quelque chose d’essentiel, si on lit entre les lignes. La majorité canadienne-française du Québec a été habituée au fil des siècles à une certaine homogénéité. Ça laisse forcément des traces. Le contact avec d’autres cultures date d’une génération. Sans dire qu’on est racistes, on peut dire que ça nous dérange quand un individu ou un groupe fait sa petite affaire à part et n’embarque pas dans nos trips à nous autres. Ajoutez à cela l’inquiétude de tout groupe minoritaire quant à sa propre survie et vous avez une réaction somme toute normale. Les Québécois n’ont juste pas l’impression que les immigrants deviennent des Québécois au sens culturel du terme. Pas assez vite, en tout cas, et pas en assez grand nombre.

Par exemple, le Québec a flushé la religion. Mais il n’a pas remplacé la religion quasi unique par une ouverture à la diversité religieuse. Ce qui a pris sa place, c’est un athéisme soft au sein duquel certains rituels sont demeurés pour leur valeur historique rassembleuse, sans plus. Comme la crèche et le sapin de Noël.

Alors, forcément, des gens qui croient en leur Dieu au point de s’arrêter cinq fois par jour pour le prier, qui obéissent aux diktats de leur religion au point de s’abstenir de boire, de manger du porc ou de suivre la mode, ça heurte. Il débarquerait ici une cargaison de fervents catholiques qui font des neuvaines et refusent de travailler le dimanche que le choc serait le même. Ce ne sont pas des religions différentes qui s’affrontent, ici. C’est la foi et la non-foi.

Ma firme de sondage interne, qui procède de manière ultra-scientifique en parlant avec la famille et les amis autour d’une bière, en jasant avec des chauffeurs de taxis, en lisant les tribunes libres des journaux et en espionnant des conversations dans le métro, me donne une idée de ce qu’est la religion la plus répandue chez les Québécois-de-souche-et-leurs-assimilés: une majorité de Québécois vous diront qu’ils croient qu’il y a "quelque chose", sans plus.

Il serait même suspect de décrire plus précisément ce "quelque chose" où les rituels à déployer pour exprimer sa foi. "Quelque chose", ça va. Tout le monde peut se rejoindre là-dedans. Mais si on croit que ce "quelque chose" a eu une mère vierge, qu’il a marché sur les eaux, qu’il exige qu’on ne mange pas de porc, qu’il a 12 bras, qu’il arrive à léviter malgré ses 300 livres ou qu’il vient d’une autre planète, là, on devient un peu trop précis pour être neutre.

Ce qu’on aimerait, au fond, c’est que tout nouvel arrivant s’en tienne à croire à ce "quelque chose" et vienne nous rejoindre dans nos rituels païens communs. Tripper sur le hockey, sacrer, regarder Les Hauts et les Bas de Sophie Paquin et Star Académie, appeler à Cité Rock-Matante pour gagner des billets de spectacles pour Isabelle Boulay, aller voir des humoristes, ne jamais se choquer de rien, virer une brosse de temps en temps, aller aux danseuses pour les gars ou sortir en gang de filles et danser en rond autour de leurs sacoches pour leurs conjointes, être malade en revenant de la cabane à sucre, ne pas se marier, avoir 1,75 enfant et les appeler Shawn-Arthur ou Priscilla-Jade et les laisser devenir les boss de la télévision dans la maison sans jamais les chicaner trop fort.

On aimerait juste ça, de temps en temps, que les "ethniques" nous prouvent qu’ils sont "dans la gang". Parce que "la gang", c’est tout ce qu’on a.