Impertinences

iToutte

Je l’avoue, je suis un techno-poche. Je ne pogne les nouvelles technologies qu’une fois qu’elles sont largement répandues et même presque dépassées. Je n’ai toujours pas de cellulaire, le Blackberry demeure une fiction pour moi, et je suis pourri dans les jeux vidéo. Je viens juste de m’acheter un lecteur MP3 et je ne comprends pas encore tout à fait comment il marche. Et je sais que j’utilise un pourcentage encore plus faible des possibilités de mon Mac que de celles de mon cerveau, ce qui n’est pas peu dire.

Je ne m’en vante pas, croyez-moi. Il m’arrive souvent de maudire mon allergie aux pitons et mon incapacité à programmer quelque bidule électronique que ce soit. Mais je sais bien, au fond, que si je n’embarque pas dans chaque nouvelle invention technologique, c’est que je n’en ressens pas le besoin. C’est un domaine où je préfère appliquer un peu de simplicité volontaire. Et j’apprécie le recul que ça me donne sur toute cette culture.

Et je suis carrément badibulgué de voir la frénésie qui s’empare du consommateur moyen dès le lancement d’une nouvelle technologie. On voit des files d’attente pour un nouveau système d’exploitation, un téléphone multitâche dernier cri, une nouvelle console de jeux… On en parle même aux nouvelles. Quand on sait en plus que les premières versions sont souvent truffées de bogues et que les premiers acheteurs servent de cobayes payants, je me demande d’où vient cet instinct digne d’une ruée vers l’or.

Il est vrai que plusieurs gadgets sont bien tentants. Le nouveau iPhone, par exemple, a ceci de séduisant qu’il peut efficacement remplacer environ 14 autres bidules. Si le joujou tient ses promesses et qu’il ne se désintègre pas au moindre choc, ça risque de se répandre.

Mais cet engouement technologique m’inspire parfois de sombres pensées. Faisons un peu de science-fiction. Je ne suis pas un spécialiste en la matière mais il me semble que quand des auteurs, pour des livres ou des films, ont imaginé des mondes futuristes, on a toujours eu l’impression que les gouvernements, qu’ils soient du bord des bons ou des méchants, étaient forts, et que le progrès était comme coordonné par ces instances intergalactiques.

Mais ce n’est pas ce qui se passe. Ce sont les compagnies privées qui créent la technologie, cherchant à répondre aux besoins secrets du marché, c’est-à-dire de nous tous, et même, quand ils jouent très bien leurs coups, à nous créer des besoins que nous n’aurions même pas imaginés.

Ce n’est pas nouveau, remarquez. Personne n’aurait imaginé que le téléphone pût exister avant qu’il ne fût inventé. Mais une fois qu’il l’a été, c’était carrément folklorique de s’accrocher au télégraphe.

Sauf que si les inventions que des entreprises cherchent à nous vendre émanaient vraiment d’une volonté de servir l’humanité, comme l’a été le téléphone, on aurait un tout autre type de progrès. Il y a longtemps, par exemple, que le moteur à explosion serait une chose du passé. Il n’y a qu’à voir le documentaire Who Killed the Electric Car? pour s’en convaincre. Une fois au vidéoclub, tiens, louez donc Tucker, a Man and His Dream. Ça fait un programme double fort pertinent sur toutes ces questions.

Mais pourquoi les entreprises privées se forceraient-elles à améliorer le sort des humains et de leur planète alors qu’il y a tant de profits à faire en répondant aux besoins de divertissement insatiables et aux bas instincts de ceux qui ont un peu de cash?

D’ici quelques années, une compagnie sortira une machine virtuelle complète, le Colgate total des gadgets. Ce sera une espèce d’exosquelette comme Sigourney Weaver en manipulait dans Aliens, mais branché sur Internet sans fil. Ça permettra de téléphoner partout, de prendre des photos en clignant de l’oeil, de faire jouer n’importe quelle chanson dès qu’on la fredonne, le tout en marchant à la vitesse d’un coureur olympique.

Et puis, il y aura le module jeux, qui permettra virtuellement d’escalader l’Everest, de jouer avec les Yankees de New York ou de coucher avec Monica Bellucci. Et tout cela sera d’un réalisme 3D haute définition hallucinant. Difficile de résister…

Bien sûr, ce iToutte ou ce CyberMe permettra aussi de savoir tout de chaque utilisateur. Des quantités d’enthousiastes abandonneront toute prétention à une vie vraiment privée pour pouvoir avoir un accès illimité à ce que leur bidule offrira. Il influencera comment les cultures se développeront. Et les techno-poches qui préféreront résister seront bien ridicules.

Rassurez-vous, ce n’est pas une crainte qui me fait frémir chaque nuit. Ce que je me dis, c’est qu’on a toujours eu peur d’une forme de totalitarisme qui viendrait d’ailleurs. Les communistes, les islamistes, les Martiens… Mais on ne s’est pas souvent méfié de celui qu’on accepterait les bras ouverts. Si nous devions un jour perdre toute liberté, c’est qu’on l’aura voulu.

Sur ce, je retourne jouer dans mon iTunes…