Impertinences

Vive Hérouxville!

Ce qui m’énerve dans le débat sur l’intégration des immigrants, cristallisé autour de la notion galvaudée d’accommodements raisonnables, c’est que je suis d’accord avec tout le monde.

Je suis d’accord quand j’entends dire "Ça va faire!" concernant certains accommodements consentis qui n’auraient pas dû l’être. Je l’ai déjà dit moi-même. D’ailleurs, sur la religion, si je ne me retenais pas, j’irais jusqu’à dire que c’est le seul point où j’étais d’accord avec Staline. Je transformerais toutes les églises en temples laïques pour la célébration de rituels citoyens ouverts à tout le monde et j’abolirais toutes les religions. Je me retiens, remarquez. J’ai bien vu ce qui est arrivé à Boisclair quand il a parlé de retirer le crucifix de l’Assemblée nationale (sa seule bonne idée depuis longtemps, pourtant). Alors je me tiens tranquille.

Mais je suis aussi d’accord avec ceux qui disent que ça dérape, qu’on commence à tout mélanger et qu’il ne faudrait pas tomber dans le racisme et la xénophobie. Ça dépend de qui parle, du ton, de l’intention qu’on sent derrière.

Le lendemain du passage du conseiller Drouin à Tout le monde en parle, j’ai entendu dans mon entourage autant de gens dire qu’il avait eu l’air d’un mononc’ borné et mal informé et qu’il avait fait un fou de lui, que de gens qui disaient qu’il avait eu du guts et qu’il s’en était bien tiré. Je n’avais même pas vu l’entrevue mais j’avais envie d’être d’accord avec tout le monde. Moi, l’ostineux professionnel! C’est dire comment je peux être accommodant, des fois…

Moi aussi, je les ai trouvés un peu ploucs, les citoyens d’Hérouxville. Mais touchants aussi. Courageux, même, d’oser affirmer des idées si "incorrectes", d’oser déranger le consensus mou qui fait que, depuis tant d’années, une part importante de la population grogne en silence en ayant l’impression qu’elle n’a pas le droit de parler.

Avec les élus d’Hérouxville, le Québec profond a parlé. Et même si c’était n’importe quoi, il en résulte au moins qu’on a ouvert le dialogue. Quelle belle initiative de ces femmes musulmanes qui sont allées leur rendre visite. Au lieu de se braquer, d’exiger une censure, elles sont allées parler aux Hérouxvillois (devrait-on dire "Hérouxvillains"?), elles leur ont apporté des baklavas. Et les citoyens de la petite ville rendue célèbre par son code de vie les ont accueillies. Ils ont parlé. C’est un peu cheesy, mais c’est quand même mieux que des émeutes. Juste pour ce moment, ça valait la peine.

VIVE LE CANADA BILINGUE!

En complément à la publication récente du sondage qui démontrait que les Canadiens appuient massivement le bilinguisme (même s’ils ne le pratiquent pas…), on a vu beaucoup de témoignages dithyrambiques sur la noblesse de parler les deux langues officielles du Canada et pourquoi pas d’autres encore.

C’est une belle ouverture d’esprit mais jusqu’où ça peut aller? Imaginez un Québécois francophone bilingue qui épouserait une immigrante latino-américaine hispanophone qui parlerait aussi le français. Ils ont ensemble un charmant garçon métissé qui parlera français, anglais et espagnol. Mais voilà que ce petit polyglotte tombe amoureux d’une belle Vietnamienne. Leurs enfants parleront-ils français, anglais, espagnol et vietnamien?

Et même en admettant que cette nouvelle famille québécoise réussisse jusque-là à conserver tous ces héritages culturels, imaginons ensuite que leur petite franco-anglo-hispano-vietnamienne se matche avec un franco-anglo-arabo-inuktitut? Et on ne parle encore que des langues, on n’a même pas abordé la question des valeurs culturelles ou des croyances religieuses.

Vous croyez que c’est possible pour un enfant de porter 12 cultures à la fois? Avec tous les efforts qu’il mettrait à seulement maîtriser les langues de sa tour de Babel familiale, il n’aurait plus de temps pour ses devoirs de maths, le pauvre. Il ne ferait que ça.

DE L’UTILITÉ DE L’OUBLI

On parle toujours de l’intégration des immigrants comme d’une addition perpétuelle. Une langue de plus, c’est un atout, une ouverture sur une autre culture, c’est merveilleux. Mais ce qu’on refuse d’admettre, c’est qu’à un moment donné, il faut soustraire. Par besoin de cohérence, il y a forcément des éléments qui disparaissent.

Ce qui nous ramène à Hérouxville. Ce que j’entends derrière les propos parfois malhabiles de ceux qui se révoltent contre les accommodements pas toujours raisonnables, c’est qu’ils ont peur que ce soient eux, leur culture et leurs valeurs, qui disparaissent. À tort ou à raison. Mais on ne peut pas balayer cette crainte du revers de la main.

Est-ce qu’on peut, collectivement, avoir notre mot à dire sur ce qu’on va garder et ce qu’on va oublier? Je ne crois pas qu’on puisse forcer quelqu’un à abandonner sa religion, par exemple. Mais j’avoue que, dans certains cas, j’aimerais qu’ils en viennent, avec le temps et les générations, à l’oublier.