C’est drôle, ces derniers temps, j’avoue avoir de la difficulté à haïr Jean Charest. Pourtant, voilà un homme politique qui m’a fait bouillir le sang à maintes occasions. Quand il a balancé dans les pattes de Landry, live en plein débat, cette obscure déclaration de Parizeau qui aurait réitéré devant des étudiants son affirmation à propos des votes ethniques. Quelle saloperie! Pour quelqu’un qui accuse le PQ de diviser le Québec, il a le don de manier l’exacto dans les plaies…
Ce fut la même chose quand il a promis ces irresponsables défusions qui, à Montréal du moins, ont entraîné la division, l’iniquité fiscale et le bordel administratif, en plus de servir en douce de carburant aux velléités partitionnistes des zélés du West Island. Et que dire de son arrogance dans le dossier du mont Orford? Il n’y a pas si longtemps, toutes ces décisions faisaient que Jean Charest incarnait le petit politicien partisan par excellence, la torpille fédéraliste envoyée par Ottawa pour saper le terrain. C’était l’époque où l’on pensait que même une potiche au PQ aurait pu le battre.
On se rend compte maintenant que ce n’était pas vrai pour n’importe quelle potiche… Mais ce n’est pas que ça. C’est qu’il a été habile, le renard dodu du comté de Sherbrooke. Il a tout fait ses mauvais coups au début. Il a "pitché" ses ministres dans l’eau chaude et certains se sont ébouillantés, mais les voilà soudain qui apprennent à nager dans l’eau qui a tiédi. Le discours idéologique de la réingénierie est enterré. On parle de gestion sage et efficace, de gros bon sens. Pas de vision mais du rassurant. Comme du bon pain mou. Le Québec aime le bon pain mou.
Et comme les rangs péquistes se sont graduellement dégarnis des ministres d’expérience qui s’y trouvaient, que l’ADQ et Québec solidaire en sont toujours privés, le Parti libéral se retrouve avec une équipe poche de la Ligue nationale face à des clubs de la Ligue américaine, sinon du junior.
La hargne de Libérez-nous des libéraux et du scandale des commandites de leurs cousins fédéraux est bien loin dans notre mémoire collective d’oublieux en série. Il émane du bon peuple une lassitude de la colère, une foulure de l’indignation. La caravane a passé et les chiens ont arrêté d’aboyer, la gueule pleine de sable. Et pour les médias, tout ça, c’est déjà de l’histoire ancienne.
Fort de cette accalmie, le premier ministre a retrouvé son aplomb et son humour acéré. Vous l’avez vu répliquer au "couteau entre les dents" de Boisclair en disant qu’il espérait qu’au moins il ne se blesserait pas? Quel "delivery"! Et voilà que Charest, imbibé de confiance, défie l’opposition de débattre de son bilan.
UN GOUVERNEMENT FORT DE SES RECULS
Alors parlons-en, de ce bilan. Il y a eu deux gouvernements libéraux au Québec au cours des dernières années. Celui des intentions et celui des faits. Le Parti libéral a eu l’intention de faire les défusions municipales et les a faites. Mais il a eu l’intention de faire la réingénierie de l’État et ne l’a pas faite. Il a eu l’intention de construire la centrale thermique du Suroît et a dû reculer devant l’opposition de la majorité de la population.
Même chose pour les immigrants qu’il voulait faire accueillir par les communautés culturelles (bonjour la ghettoïsation!), autre dossier où il a reculé. Il ne voulait rien savoir de l’éolien, pour finalement se rendre à la demande populaire. Il a transformé presque toutes les bourses étudiantes en prêts avant de rafistoler un peu l’affaire à la dernière minute grâce à l’intervention des groupes étudiants. Il a cherché à démanteler le réseau des CPE avant de s’en faire le défenseur hypocrite devant le tollé soulevé.
Ainsi donc, les meilleures décisions du gouvernement Charest sont celles qu’il a été forcé de prendre par la pression des groupes populaires, des étudiants et des écologistes. Reconnaissons-lui au moins d’avoir eu le talent de savoir reculer. En fait, on devrait presque le prendre comme une preuve que la démocratie participative peut marcher au Québec! Je suis sûr que Françoise a pris des notes.
Mais si le passé est garant de l’avenir, fort d’un nouveau mandat, Charest pourrait fort bien redevenir "la charrue acharnée qui charcute en charpie la charpente de la maison qu’on a mis 40 ans à bâtir", dixit Loco Locass. Il recule quand ça bloque, il prend son élan et il re-fonce. Or, quel sera le Parti libéral qui se présentera aux élections? Voilà la question. Celui des intentions dogmatiques ou celui de la trajectoire corrigée? Faudra le lui demander.