BIENVENUE, JOSEE!
Quand Christophe Bergeron, le rédacteur en chef, m’a annoncé que je reprendrais ma place de chroniqueur "montréalais" et qu’on me remplacerait à la chronique "nationale" où j’assurais l’intérim, j’avoue que j’ai eu un petit pincement au coeur. L’idée que moi, grande gueule de ce Plateau si souvent honni hors Montréal, je puisse rejoindre des lecteurs de partout au Québec pour brasser des idées me plaisait beaucoup, même si c’est arrivé comme une surprise et que ce statut n’était que temporaire.
Mais comme j’ai su en même temps que la personne qui deviendrait la chroniqueuse nationale serait Josée Legault, j’étais aussi très heureux. Je me retrouve collègue d’une journaliste que j’aime beaucoup, qui a des convictions sans être aveugle, et dont les propos m’ont souvent inspiré. Je me réjouis de la direction que prend Voir et je suis fier d’en faire partie. Bienvenue, Josée.
L’AFFAIRE KOVALEV: LES MENSONGES D’UN ATHLETE
Le sport est une usine à métaphores. Et la fameuse "affaire Kovalev" qui secoue les Canadiens en est une puissante. Pour résumer de quoi il retourne à quiconque sort d’une grotte ou zappe automatiquement dès qu’il est question de sport, voici ce qui est arrivé. Alex Kovalev, un joueur des Canadiens débordant de talent mais qui ne l’exprime qu’un match sur dix, a livré ses états d’âme à une journaliste russe, pays d’origine de la Ferrari avec un sabot de Denver.
Sauf que voilà, La Presse a découvert l’article et en a traduit les propos. En gros, ça dit que l’équipe est dirigée par un "twit" qui n’aime pas les Russes, que les joueurs francophones forment une clique de grosses têtes et autres gentillesses.
Kovalev a donné une conférence de presse pour dire que ce n’était pas vrai, qu’il avait accordé une brève entrevue à la journaliste mais qu’il n’avait jamais dit ces choses-là. Le ton était calme. Le gars paraissait sûr de lui. Carbonneau (le coach twit) a publiquement appuyé la version de son joueur. Et plusieurs joueurs ont ensuite renchéri. Guillaume Latendresse, qui était visé par les propos présumés du Russe en tant que joueur québécois, a déclaré avec un bel aplomb que ce n’était pas le genre de Kovalev de déblatérer dans le dos de ses coéquipiers.
De l’avis de presque tout le monde, journalistes et amateurs, le mensonge est cousu de fil bleu-blanc-rouge. La journaliste s’est rétractée depuis qu’elle a reparlé à Kovalev et la bande sonore de l’entrevue a mystérieusement disparu. Ça sent la Russie de Poutine et la censure journalistique à plein nez.
Tout le monde sait que Kovalev ment, que Carbonneau fait semblant de croire à ce mensonge pour sauver la face et ce qu’il reste d’esprit d’équipe dans son club, que les autres joueurs suivent avec discipline la ligne officielle de l’organisation comme un plan de match médiatique. Personne n’est dupe. Mais il semble qu’on consente à ce mensonge "pour le bien de l’équipe". Sinon, c’est la catastrophe. Il faudrait renvoyer un des seuls joueurs talentueux de l’équipe alors que les Canadiens luttent désespérément pour une place dans les séries.
D’ailleurs, les journalistes le reconnaissent presque candidement. Réjean Tremblay a encensé le charisme et la solidité de Kovalev au cours de sa conférence de presse. Mario Langlois a souligné la performance "convaincante" de Guillaume Latendresse. Comme si, une fois l’histoire révélée, la seule façon d’éviter le pire était de mentir le mieux possible, et qu’il fallait juger tout ce cirque non pas sous l’angle moral mais sur son efficacité à aider les Canadiens. Comme si c’était un dégagement en désavantage numérique ou une "bonne" pénalité à prendre. Et c’est juste si on n’applaudit pas.
LES ATHLETES DU MENSONGE
Mais croyez-vous qu’il n’y a que dans l’organisation des Canadiens que le mensonge soit érigé en une telle vertu quand les circonstances l’exigent? Nous sommes en campagne électorale. Des athlètes du mensonge sont à l’oeuvre. Ils sont en séries et ça joue dur.
Jean Charest dit que le Québec va mieux depuis qu’il est au pouvoir, alors que s’il était dans l’opposition, on sait bien qu’il ferait de la même conjoncture un portrait catastrophique. Il parle de consensus pour la privatisation du mont Orford, il lance de la bouette à ses adversaires. Boisclair joue les vierges offensées pour devenir victime dans l’histoire du sketch de Brokeback Mountain et distribue des poignées de main aux syndicalistes qu’il voulait remettre à leur place il y a quelques mois. Dumont fait plein de promesses alors qu’il ne sait foutrement pas ce qu’il pourra faire.
Si on s’arrête à ça, il y a de quoi se décourager complètement. Ne devrait-on pas juger les politiciens sur l’utilité de leurs mensonges, eux aussi? Quand Bill Clinton a nié avoir eu une relation sexuelle avec Monica Lewinsky, il mentait. Mais il espérait par ce mensonge mettre fin à une affaire téléguidée qui n’avait aucun rapport avec ses politiques et qui minait sa présidence. J’aurais fait la même chose à sa place (sauf que je me serais peut-être arrangé pour ne pas salir la robe…). Ne devrait-on pas faire du discernement entre un mensonge frauduleux et un mensonge constructif?
Parce que peu importent les mensonges que peuvent nous raconter les politiciens, c’est toujours pour le bien de l’équipe, eux aussi…