Ce fut la semaine des déséquilibres. D’abord le déséquilibre éditorial entre le Québec et le Canada anglais dans l’affaire des "yeux bridés" de Boisclair – j’y reviendrai -, qui a prouvé une fois de plus que les deux solitudes sont loin d’être réunies. On a aussi vu le Doc Mailloux prouver qu’il ressemble de plus en plus à un déséquilibré mental. J’y reviendrai sûrement aussi. Mais nous sommes en campagne électorale et le déséquilibre qui a eu le plus d’impact, c’est bien sûr le fiscal.
La stratégie politique entraîne parfois de bien drôles d’alignements. Lors du dépôt du budget fédéral, Stéphane Dion s’est offusqué d’y trouver une réponse insuffisante à un problème (le déséquilibre fiscal) que lui-même ne reconnaît pas! Et c’est Gilles Duceppe qui se retrouve (encore une fois) à sauver les conservateurs. En partie parce que c’est un pas dans la bonne direction (expression consacrée dans tous les cas où un adversaire fait un bon move – à compléter en ajoutant que "c’est bien peu mais on va le prendre"). Mais surtout parce que le Bloc n’est pas du tout prêt à mener une campagne électorale.
C’est l’exercice d’un gouvernement minoritaire qui crée ce genre de situations. À chaque budget, à chaque dépôt d’une loi importante, les partis de l’opposition, majoritaires, se demandent si ça vaut la peine de faire tomber le gouvernement là-dessus. Le prix à payer, c’est de devoir assumer devant l’électorat la responsabilité des élections qui en découleront. Si le Bloc avait voté contre un budget qui corrige, au moins pour un temps, le déséquilibre fiscal au Québec, il se serait assurément fait varloper au cours de l’élection subséquente. Les Québécois veulent de cet argent et il leur revient enfin. La faiblesse des mesures environnementales et le gros "lousse" laissé aux exploitants des sables bitumineux n’auraient pas pesé bien lourd dans la balance.
Les observateurs sont nombreux à se moquer de la position pour le moins inconfortable de Duceppe face à ce budget. Mais on ne peut pas réclamer la correction du déséquilibre fiscal pendant des années et dire non quand une mesure concrète vise enfin à atténuer le problème. Les souverainistes n’ont eu de cesse de dire au fédéral "T’es pas game! T’es pas game!" et finalement, Harper a été game. Il faut le reconnaître. Mais il faut aussi reconnaître que Harper a habilement utilisé ce défi à son avantage.
Dans l’esprit des souverainistes, régler le déséquilibre fiscal, ça voulait dire récupérer des points d’impôt (ou la TPS). Au lieu de jouer la "politique du pire" (qui est la "pire des politiques", comme se plaît souvent à le rappeler Gilles Duceppe) et déchirer leur chemise à chaque refus, les souverainistes jouaient là un jeu "gagnant-gagnant". Si le gouvernement fédéral, de quelque parti qu’il soit, refusait de reconnaître le problème (qui pourtant saute aux yeux), ça prouvait que le gouvernement fédéral nuisait au Québec et ça nourrissait l’argumentaire indépendantiste.
Si, par contre, un gouvernement acceptait de régler le problème pour de bon par le transfert de points d’impôt, les souverainistes avaient au moins réussi à rendre le Québec un petit peu plus indépendant d’avance. Ça rendait la marche moins haute pour le grand soir. En effet, le fédéral ne peut pas faire du chantage en menaçant de retenir de l’argent qu’il ne reçoit pas. Bien pensé.
Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça. Harper s’attaque au problème, mais en modifiant les paiements de transferts et la péréquation. L’argent a beau régler en partie le déséquilibre, il passe toujours par Ottawa. Et, bien sûr, le gouvernement en profite pour y attacher quelques ficelles de contrôle au passage. Harper a choisi la charité fiscale plutôt que la justice. Et la charité a toujours pour effet de maintenir son bénéficiaire dans la dépendance. Ce n’est sûrement pas un hasard.
Pour l’instant, bien sûr, il fallait prendre cet argent. Sauf que Charest a été carrément malhonnête en s’en accordant tout le crédit. Tout ce blabla sur la bonne entente entre le fédéral et un gouvernement fédéraliste à Québec vise à cacher une réalité essentielle: si le PQ et le Bloc n’avaient pas été là pour identifier le déséquilibre fiscal et rappeler l’importance de le régler, jamais le budget Flaherty ne s’y serait attaqué. Et ça, tous les Québécois, y compris les fédéralistes, devraient au moins le reconnaître.
Mais le plus beau pour Harper, là-dedans, c’est que si le Québec se met à péter le feu économiquement, il ne recevra plus de paiements de péréquation, il en donnera! Tout ça donne du poids à une des rares bonnes idées de Mario Dumont: que le gouvernement du Québec soit le seul à percevoir des impôts sur son territoire et qu’il envoie ensuite à Ottawa ce qui lui revient pour oeuvrer dans ses champs de compétence. Autrement dit, renverser le courant de l’argent. En tout cas, si Boisclair se retrouve à la tête d’un gouvernement minoritaire lundi prochain, c’est une idée de l’ADQ qu’il ferait bien d’aller leur piquer…