Oh boy! Ça fesse…
Je ne sais pas trop encore quoi penser de ce qui s’est passé lundi. Je suis en train de recomposer mon cerveau. Au niveau de mes convictions, je suis toujours indépendantiste et plutôt de gauche. Mais avant tout, je crois en la démocratie, même si je sais bien qu’elle est imparfaite. Le choix du peuple est souverain. On peut bien picosser, dire que les citoyens s’abreuvent pour s’informer à des auges empoisonnées, reste que l’Histoire a toujours raison. Il faut prendre acte.
J’avoue que lundi soir, par moments, j’ai eu l’étrange sensation de devenir peu à peu un étranger dans mon propre pays. Je me suis dit que ça devait ressembler à ça pour un anglophone fédéraliste en 1976. La prise de conscience de l’ampleur d’un mouvement qu’on croyait condamné à rester marginal, ou du moins à ne jamais menacer le pouvoir. Car c’est bien là que réside le principal changement qu’a apporté cette élection. Mario Dumont n’est pas chef de l’opposition, aujourd’hui. Il est premier ministre de l’opposition.
Des dizaines d’analyses différentes se bousculaient dans ma tête. Des catastrophiques, dues sans doute à l’effet de surprise, mais des très optimistes aussi. Et beaucoup de remises en question. Mais j’aimerais d’abord faire remarquer un fait qui semble être passé inaperçu.
UN QUATRIÈME PARTI A PRIS LE POUVOIR…
Les électeurs inscrits ont le droit de voter pour qui ils veulent. Ils ont aussi le droit de ne pas voter. Récemment, je me suis amusé à considérer le taux d’abstention comme un parti. Pour ce faire, je calcule le pourcentage du vote non pas en me référant aux votes valides exprimés mais à l’ensemble des électeurs inscrits (donc, des "droits de vote"). Et le portrait change considérablement.
Cette année, étonnamment pour une élection aussi "excitante", le taux de participation n’a été que de 71,28 %. Il s’agit d’un des plus bas taux dans l’histoire des élections au Québec. Et si les abstentionnistes avaient été réunis en un seul parti, lundi soir, pour la première fois, ils auraient gagné les élections. Leur chef inexistant serait aujourd’hui premier ministre d’un gouvernement abstentionniste minoritaire. 1 617 098 Québécois sont restés chez eux, lundi dernier. C’est plus que les 1 313 780 électeurs qui ont voté pour le Parti libéral.
Pour faire un portrait total, ça donne ceci (en pourcentage des électeurs inscrits):
Abstentionnistes: 29 %
Libéraux: 23 %
Adéquistes: 22 %
Péquistes: 20 %
Verts: 3 %
Solidaires: 3 %
On notera au passage que si les deux partis ouvertement indépendantistes, le PQ et Québec Solidaire, avaient formé une coalition, ils seraient arrivés avant l’ADQ… Et que si cette coalition avait reçu l’appui de l’ensemble des abstentionnistes, le Oui serait à 52 %…
Bien sûr, cet exercice est une pure fiction. Il y a une grande proportion de gens dans ce lot d’abstentions qui ne votent jamais, des anarchistes plus ou moins soft et d’autres qui s’en foutent complètement, et c’est leur droit. Mais au dernier référendum, le taux de participation a été de 95 %. Il y en a donc là-dedans qui savent tout de même comment mettre un X dans un cercle.
Ces électeurs-là ne sont pas disparus. Ce sont des Québécois qui existent encore, et qui ont le droit de vote. Ils se sont abstenus, certes, mais ils pourraient revenir.
Dans cette perspective, on ne peut pas conclure à la déchéance de l’option souverainiste. Ni, il faut le dire, à sa montée en sourdine sous la bannière rassurante de l’autonomisme de l’ADQ et l’abstention stratégique de péquistes pour protester contre le leadership d’André Boisclair. Mais il se peut qu’un grand nombre de souverainistes aient choisi de se taire et de laisser aller les choses.
On dira que le Québec a mis le gouvernement Charest sous surveillance. Pourtant, je n’ai vu aucune case "mettre le gouvernement Charest sous surveillance" sur mon bulletin de vote. Cette situation de gouvernement minoritaire est un résultat, un effet secondaire de la division du vote, pas une intention unanime du peuple. Jean Charest et les fédéralistes me font bien rire quand ils disent que les référendums divisent le Québec. Ils ne font que révéler une division qui existe déjà. Et elle existe aussi, cette élection le prouve, sur beaucoup d’autres fronts.
Ce qu’il y a sûrement aussi, c’est que dans un monde où l’on entend partout crier "À droite, toute!", ceux qui pensent différemment finissent peut-être par se dire qu’on ne les écouterait pas de toute façon, et choisissent de se taire.
Si les débats des prochaines années pouvaient contribuer à leur faire retrouver la parole aux prochaines élections, encore une fois, l’Histoire aura eu raison.