Il y a quelques semaines, j’avouais dans cette chronique que je ferais des efforts pour comprendre cette majorité québécoise dont je me suis senti si éloigné par les résultats de la dernière élection. Je me disais que quelques explorations culturelles pourraient peut-être m’aider à voir les choses sous un autre angle. Le moment est venu de faire le compte rendu de mon cheminement.
Évidemment, j’y suis allé à petites doses. Je ne me suis pas tapé On n’a pas toute la soirée, drette comme ça, c’était trop risqué. J’aurais pu perdre la tête et immigrer au Venezuela sans laisser d’adresse. J’ai commencé par écouter Cité Rock Détente. Au pire, me suis-je dit, je me croirai dans un ascenseur. Au début, je n’écoutais que quelques secondes à la fois pour m’habituer, en gardant le doigt sur le bouton au cas où le choc serait trop fort.
Ce qui m’a d’abord frappé, ce sont les annonces, insupportables tant dans leur conception que dans leur assommante répétition. Il n’y en a pas à cette radio de gauchistes qu’est Radio-Canada. Mais si tant de gens syntonisent ce genre de station de radio et résistent apparemment sans peine à ces attaques publicitaires quotidiennes, c’est qu’ils doivent être configurés d’une autre façon que moi.
À force d’entendre ces spots publicitaires, leur cerveau s’y accoutume et finit par les bloquer. Ils ne les entendent plus. Cette faculté, qui me fait cruellement défaut, peut sûrement s’avérer utile ailleurs. Et si d’entendre ces publicités agressantes contribuait à créer le contexte qui fait apprécier les chansons sirupeuses qui suivent? Peut-être étais-je sur la piste de quelque chose…
Puis, je suis tombé sur une chanson d’Isabelle Boulay. C’était Entre Matane et Bâton Rouge, de son nouveau disque country. Et j’ai compris quelque chose.
J’avoue qu’avant, sans faire de distinction, je rejetais en bloc tout ce que j’assimilais à du "Cité Rock-matante", toutes ces chanteuses à voix de ballades uniformément émotives, tous ces rockers apprivoisés qui se graffignent le coeur avec des textes qui sonnent comme de la psycho-pop, je les zappais sans distinction. J’ai même songé un jour déposer un projet de loi privé visant à imposer des quotas de "Je t’aime" par disque/par année pour chaque chanteur ou chanteuse. Je sentais bien que je dérivais progressivement vers la marge, mais je n’y faisais pas trop attention.
Pourtant, je ne suis pas complètement insensible au charme de mélodies douces et de textes romantiques. Seulement, voilà, on aurait dit que ça passait mieux dans une autre langue. Ou si on y ajoutait un peu de patine. Omara Portuondo qui chante Veinte años dans Buena Vista Social Club, je suis conquis. Mais que Lara Fabian ne fasse que pousser quelques notes et j’ai déjà les yeux qui roulent… Serait-ce que je serais snob? Je crois que ça a rapport avec le fait que, dans une autre langue, je me laisse d’abord toucher par la musique des mots en me foutant de leur sens. Les mots ne sont que des prétextes à des sons, des atmosphères. J’ai donc essayé d’écouter ce type de chansons d’ici avec les mêmes oreilles.
Ce qui a sans doute aidé à mon illumination, c’est la personnalité d’Isabelle Boulay. On ne peut pas haïr Isabelle Boulay. Elle est jolie comme une fille Ivory, elle a une voix de velours, elle a cette aura doucement orangée qui la rend chaleureuse. Isabelle Boulay est une pêche. Sympathique en plus. Avec son petit air espiègle de fille qui vient de se réveiller après avoir passé une très belle nuit… Ça m’a mis dans le bon mood.
Et quelle voix! Avec une sorte de nonchalance dans le phrasé et un petit voile, au fond, comme une pudeur. Comment ai-je pu être sourd à tant de volupté sonore? Mais aujourd’hui, grâce à la vague adéquiste qui m’a secoué, je comprends enfin l’engouement général pour Isabelle Boulay.
J’ai compris, mais je ne suis pas encore rendu à n’écouter que ses disques en boucle, cependant. En dose "slow de fin de soirée", mixé avec autre chose, c’est parfait. Mais plus que ça, c’est trop sucré pour moi. Je suis maintenant capable de reconnaître que c’est du sucre d’excellente qualité. Par exemple, le flash du "Saule inconsolable", je le trouve sincèrement très cute. Mais c’est quand même un flash "sucre à la crème". Les mots sont jolis, la musique est douce, l’émotion est mélancolique et le tout est admirablement fondu ensemble. Une fois, ça me fait sourire. Mais de l’entendre dans le couplet pour qu’il revienne ensuite dans le refrain, c’est juste trop pour moi. Trop de sucre, et je commence à perdre ma capacité de concentration, je deviens tout mou, confus, je ne sens plus mes extrémités et je risque de tomber sans connaissance…
Voilà qui m’explique enfin mon éloignement du goût majoritaire des Québécois: ce n’est pas du snobisme, c’est parce que je suis un diabétique culturel!