Ainsi donc, Daniel Brière poursuivra sa carrière à Philadelphie. Dur coup pour le Canadien qui a tout tenté pour l’obtenir. Chez les partisans, la déception est à la mesure de l’espoir qui planait. Brière à Montréal, ça allait nous redonner une vedette francophone, un gars capable de la mettre dedans, capable aussi de contribuer à l’éclosion des jeunes prometteurs de l’équipe. Et puis, une fois Brière à Montréal, ça pourrait en attirer d’autres…
Mais voilà, Daniel Brière, dont je ne doute pas qu’il ait été déchiré, a choisi l’équipe qui lui inspirait le plus confiance. Brière a préféré retrouver son ami Martin Biron, jouer avec plus de bons joueurs, avoir d’autres francophones de haut calibre comme coéquipiers, ne pas voir sa vie scrutée au microscope par un essaim de monomaniaques et ne pas risquer de devenir la honte d’un peuple maladivement assoiffé de victoire, parce qu’il tomberait en léthargie pendant deux matchs.
Stéphane Laporte, dans son blogue cette semaine, a conclu que Brière avait ainsi refusé d’être un héros. Bien que je comprenne tout à fait les raisons qui ont poussé Daniel Brière à choisir les Flyers, je suis d’accord avec cette analyse. On ne peut pas crier à la trahison et se mettre à huer le petit joueur de centre quand il jouera à Montréal, mais ça laisse quand même une petite crotte sur le coeur. Une déception de plus.
Et quand il s’agit du Canadien, ça prend une autre dimension. Parce que le Canadien de Montréal n’est pas une équipe ordinaire. Faudrait peut-être que quelqu’un l’explique comme il faut à George Gillet avant qu’il ne gaspille tout son argent à compléter sa collection d’équipes sportives mythiques.
Le Canadien au hockey est perçu, au Québec, comme l’équipe nationale. Pendant des décennies, l’équipe a tout raflé sur son passage avec, dans ses rangs, une majorité de joueurs canadiens-français. Ça laisse des traces dans la conscience collective. Vous imaginez si, aux États-Unis, au lieu d’avoir une ligue de baseball pour les Noirs et une pour les Blancs, du temps de la ségrégation, il y avait eu UNE équipe de Noirs dans une ligue de Blancs, que cette équipe s’était appelée précisément les Blacks, et qu’elle aurait gagné les Séries mondiales un an sur deux en moyenne, et jusqu’à cinq fois de suite. Pour les Noirs américains, cette équipe serait sacrée. Et même si les joueurs noirs avaient été acceptés dans toutes les équipes, elle aurait été leur premier choix. Anytime. Et le serait encore.
Quant au choix de Brière, malheureusement, il n’est pas surprenant. Il est représentatif. Le Québec n’est plus dans l’affirmation de son identité. Il est dans le confort. Seuls les fans peuvent encore avoir cette fibre patriotique. Et il n’y a guère plus qu’au hockey où cette sensibilité n’est pas encore considérée comme ringarde par chez nous. Mais pour les bons joueurs québécois, ceux qui ont vraiment l’occasion de choisir, c’est la qualité de vie avant l’Histoire, c’est la chance de gagner les honneurs avant l’honneur de se battre pour les siens. N’est-ce pas d’ailleurs toujours ce que nous avons collectivement choisi?
Dans la même lignée, je me suis même laissé dire que la perspective d’une Équipe-Québec mettait la plupart des bons joueurs québécois dans l’embarras. Le Québec aurait une très bonne petite équipe, avec quelques superstars pas piquées des vers, mais voilà, elle ne serait pas aussi sûre de gagner que l’équipe canadienne, qui demeure loadée de talents plus qu’aucune autre. Et de se faire battre par la Suède ou la Slovaquie, ça ferait baisser la valeur des joueurs québécois. Sans compter que pour ceux qui feraient de toutes façons partie d’Équipe-Canada, c’est une médaille presque assurée qui se transforme en parcours du combattant. Paraît qu’ils préfèrent éviter l’hypothèse…
C’est humain, sans aucun doute. Mais permettez-moi de penser que si, du temps de la Tchécoslovaquie, on avait offert à Peter Stastny de représenter la Slovaquie, pourtant moins nantie en grands joueurs que la partie tchèque (du moins à l’époque), il n’aurait pas hésité une seconde. Traitez-moi de ringard comme vous voulez, mais je crois même que c’est ce genre de courage qui fait la différence entre un bon joueur et un grand joueur, que ça peut transporter le talent encore plus loin. Et je crois aussi que le même raisonnement tient pour une collectivité.
À défaut d’être un peuple vraiment libre, nous sommes des agents libres… Peut-être que ça prouve que nous n’en avions pas tant besoin, de cette liberté collective, et que les libertés individuelles font amplement notre bonheur…
N’empêche, Vincent, tu te fais pas un peu chier à Tampa Bay, pas de défensive, à jouer devant des gradins vides pour un coach caractériel? Un petit tour à Montréal pour prêter main forte à Saku, ça pourrait être le fun. Tu pourrais attirer ton chum Martin, en plus. Me semble que ce serait beau de vous voir lever la coupe Stanley dans le chandail tricolore… Ça te tentes-tu?
Et vous?