Impertinences

Jésus de Montréal

Gérald Tremblay est décidément un personnage rare. Je ne peux pas dire que ses idées politiques me fassent entrer en transe (c’est une figure de style, bien sûr, rassurez-vous, aucune idée politique ne m’a jamais fait entrer en transe, sauf peut-être la légalisation du pot) et je n’ai pas de poster de lui dans mon bureau (c’est aussi une figure de style: je n’ai de poster d’aucun homme politique, à peine un macaron de René Lévesque et un cendrier du Che). Même que pour un homme qui parle si souvent de "vision", je trouve qu’il n’a pas l’air d’en avoir beaucoup. Mais de la passion, ça, c’est indéniable. Elle fait même un peu déplacé dans son aura bleu pâle de cahier Canada. Gérald Tremblay a réussi le tour de force d’être touchant sans charisme, intensément drabe, passionnément comptable.

C’est aussi un gentleman comme il ne s’en fait plus en politique. D’ailleurs, il y a une bonne raison à ça: ils se sont tous fait manger tout cru. Mais Gérald Tremblay est de cette race. Borderline bonasse, même, sa conviction se teintant toujours d’une bonne dose de naïveté. C’est un grand optimiste, qui semble toujours présumer des bonnes intentions de chacun. Ce qui fait de Gérald Tremblay le plus grand cocu politique de l’histoire récente du Québec.

On se dit même qu’il a couru après. D’abord, pour devenir maire et réussir les fusions imposées par Québec et très désirées par Montréal, il a pris l’approche inverse de Pierre Bourque. Le Géranium voulait "une île, une ville", pas de tataouinage, frustrant ainsi les maires du West Island qui ne voulaient rien savoir. Gérald Tremblay s’est dit que leur féroce opposition à un maire confrontant risquait de faire dérailler le projet. Il a décidé de fédérer les mécontents, de leur donner une voix, dans l’espoir de réussir ces fusions. C’était faire alliance avec le diable en espérant le changer en cours de route. Gérald Tremblay a donc gentiment donné un lift à ceux qui voulaient le poignarder. Jean Charest a fourni le poignard en ouvrant la porte aux défusions. On connaît la suite, on est encore dans le bordel que tout ça a causé.

Mais qu’à cela ne tienne, Gérald Tremblay continue. Montréal mérite qu’on se batte pour elle. Tiens, elle mérite qu’on y ramène de grands événements sportifs. Tremblay flashe sur les Championnats mondiaux aquatiques. Il part en mission avec son sling-shot, les yeux pleins d’espoir. On a les infrastructures, on a des vedettes locales, let’s go, on y va! Mais les partenaires se font tirer l’oreille. Gérald "happy camper" Tremblay tient bon, il promet que la Ville comblera tout déficit éventuel. Les jeux sont sauvés. Mais le public ne suivra pas, pas autant que prévu. Il y aura un déficit. Montréal épongera.

Un être si gentil ne peut pas faire autrement que de déclencher les passions à son encontre. Regardez le dossier du changement de nom de l’avenue du Parc. Et voilà maintenant que c’est au tour des "festivaliers" de lui tomber sur le dos. "Manque de ci, manque de ça." "Si on nous fait payer les services de police (ce qui se fait à Toronto), on va bouder, on va s’en aller ailleurs." Rozon déclare publiquement que Gérald Tremblay n’est pas un bon maire. Mais celui-ci reste digne, se rendant même à un gala du Festival Juste pour rire pour remercier Gilbert Rozon de son apport à Montréal depuis 25 ans. Il tend l’autre joue.

Parce que Gérald Tremblay a une personnalité christique. Il souffrira pour nos péchés, il nous pardonnera et nous serons alors transpercés par la grandeur de son amour. Et je ne niaise même pas (O.K., presque pas). Cet homme est, toutes proportions historiques gardées, un Gandhi municipal. Jésus de Montréal.

On peut devenir premier ministre du Canada par orgueil. C’est même plutôt la règle (Trudeau, Mulroney, Chrétien, Martin). Premier ministre du Québec aussi (Bouchard notamment). Mais pas maire de Montréal. Pour être maire de Montréal, dans l’impraticable structure actuelle, il faut un peu aimer la souffrance. Il faut pouvoir dire, devant une assemblée de défusionnés qui ne rêvent que de défusionner encore plus: "Seigneur, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font."

La tâche semble si ingrate que la plupart des candidats potentiels à la mairie s’en tiendront sûrement à: "Éloignez de moi ce calice!" Mais Gérald Tremblay est entré librement dans sa passion. Chacun notre tour, nous l’avons trahi. Par volonté, par omission, peu importe. Politiquement, le Québec entier tourne le dos à Montréal. Et maintenant, même ceux qui devraient être ses plus ardents alliés la renient. On dirait que pour que Montréal renaisse, il faudra que quelqu’un se sacrifie pour sa délivrance.

Montréal avait déjà sa croix. Elle a maintenant un Jésus à mettre dessus.