Impertinences

La démocratie étouffe de la même façon qu’un lac

BÉCASSINE AU PAYS DES ALGUES BLEUES

Un sujet a surgi cet été, à mettre dans la florissante catégorie des nouvelles menaces qui pèsent sur nous, avec les terroristes, la grippe aviaire, les gaz à effet de serre et les ponts et viaducs. Il s’agit bien sûr des algues bleues qui viennent étouffer nos lacs, résultat d’années de laisser-polluer. Au point que la ministre de l’Environnement Line Beauchamp fera la tournée des municipalités riveraines qui sont aux prises avec des problèmes de cyanobactéries. Elle observera, elle se familiarisera avec le dossier et elle constatera le succès des solutions apportées par certaines municipalités. Elle envisage même peut-être la possibilité éventuelle de considérer l’hypothèse de mesures coercitives. Wow! On ne niaise plus…

Belle initiative, mais je trouve quand même bizarre qu’une ministre de l’Environnement en soit encore à l’étape de prendre des cours sur un sujet aussi important. Ça fait des années que la coalition Eau Secours! informe autant les citoyens que les élus sur ce danger. Line Beauchamp n’a pas de fonctionnaires qui pourraient lui faire un briefing là-dessus? Comme d’habitude, il a fallu que le problème devienne phosphorescent au point de faire la une des journaux pour se retrouver parmi les priorités politiciennes. Parce que c’est la gestion par crise qui règne.

Il faut qu’un viaduc s’effondre pour qu’on analyse enfin sérieusement l’état des infrastructures du réseau routier, comme il faut qu’on soit obligé de fermer des lacs pour se préoccuper de la qualité de leur eau. C’est que, dans le paradigme économique actuel, nos politiciens n’ont pas tellement le choix. Il faut couper les services gouvernementaux, réduire les investissements de fonds publics, tout ça pour payer la dette et alléger le fardeau fiscal dans cet enfer du contribuable qu’est le Québec. Alors tant qu’il sera politiquement payant d’occulter un problème qui exigerait des ressources publiques et de le balayer sous le tapis… on aura un tapis tout croche.

Car avec cette logique, on s’en rend compte, ça craque de partout. On s’empresse de courir de craque en craque, on cherche des coupables, on pose des sparadraps. Faudrait peut-être se rendre compte que des routes meurtrières, des lacs morts, des écoles lézardées, des services auparavant publics et accessibles à tous qu’on privatise, des campagnes désertées et des forêts décimées, ça aussi, c’est une dette. Et elle aussi se fait sur le dos de ceux qui ne votent pas encore.

Mais quand un problème n’en est pas un tant qu’il n’y a pas de votes à gagner avec ça, tout le débat politique devient tributaire des grands titres des journaux et des bulletins de nouvelles. Commandites, accommodements raisonnables, algues bleues, l’histoire récente nous démontre qu’on en est rendu là. Les politiciens ne proposent plus rien, ils ne font que réagir. En fait, ce sont maintenant les chefs de pupitre des médias qui dirigent le pays. Ce n’est peut-être pas plus mal. Mais alors, il nous faudrait peut-être plus de journaux…

LE HUMMER ÉCOLO?

La semaine dernière, Le Devoir faisait état d’une étude qui prouvait que, si on tenait compte de l’entièreté de son cycle de vie, incluant son développement et sa fabrication, un gros méchant Hummer était plus écologique qu’une Prius hybride. Seulement voilà, l’étude est fort discutable, émane d’une obscure firme de sondage aux intentions douteuses et mêle des pommes avec des boules de pétanque pour arriver à ses conclusions. En fait, tout porte à croire qu’il s’agit plutôt d’une tentative de plus pour décourager le public des solutions alternatives qui dérangent certaines industries. Si Le Devoir s’interrogeait sur l’étude, plusieurs médias américains n’ont fait que relayer cette information peu fiable. Il paraît même que chez nous, à LCN, on a aussi diffusé cette nouvelle sans même la remettre en cause.

Or, c’est exactement sur ce laxisme (et souvent cette complaisance) que comptent ceux à qui cette désinformation profite. Ces études bidon visent uniquement à brouiller le débat quand il semble ne pas aller dans le sens qu’ils souhaitent. Ils sèment du doute, et le doute prolifère encore plus rapidement que les algues bleues. Il commence d’abord par faire mourir les faits, laissant le champ libre aux opinions, et c’est tout le débat public qui finit par étouffer dans les guerres de clans stériles.

C’est le même stratagème qui a été utilisé par l’administration Bush pour statuer qu’il n’y avait pas de consensus chez les scientifiques sur la question du rôle de l’activité humaine dans le réchauffement climatique, ce qu’Al Gore démontre clairement dans An Inconvenient Truth.

Encore une fois, donc, le pouvoir est entre les mains des grands médias. Et on viendra me dire ensuite que la concentration de la presse n’est pas un problème inquiétant?

C’est vrai que ça fait rarement la une des journaux…