Quand Jean Charest a annoncé la mise sur pied d’une commission qui se pencherait sur toute la problématique des accommodements plus ou moins raisonnables, question de donner un cadre à ceux qui, au privé comme au public, doivent composer au quotidien avec les demandes de toutes sortes de communautés, tout le monde, moi compris, a applaudi. Enfin, on allait regarder tout ça de façon globale en prenant le temps de respirer, et on allait sûrement pouvoir s’entendre.
Mais voilà qu’au fil des déclarations préliminaires de messieurs Bouchard et Taylor, on sent comme un malaise. Les deux intellectuels redoutent les raccourcis et les possibles dérives du bon peuple convié à livrer le fond de sa pensée.
Et si cette pensée était vraiment raciste? De quoi on aurait l’air?
Depuis le traumatisme politico-identitaire provoqué par la déclaration de Parizeau "… et des votes ethniques", la question a été prestement embarrée dans le coffre du tabou avec le PQ comme verrou. Revenir là-dessus, même pour nuancer et préciser nos craintes et nos aspirations communes, c’était risquer que le mouvement indépendantiste se fasse taxer de racisme et de xénophobie par nos puissants voisins anglo-saxons et que ça fasse reculer la cause.
On fait sauter le verrou
Mais voilà, la cause n’a pas avancé, et les Québécois ont maintenant envie de faire sauter le verrou. C’est exactement à cette posture que Dumont doit une grande partie de sa popularité. Le Québec profond (ce qui ne veut pas dire "creux") a dit: "O.K., on laisse faire l’indépendance. On s’en sacre de passer pour des gros méchants. On aime mieux se sentir chez nous dans un cabanon que de partager une maison neuve avec des colocs qui nous énarvent et, parfois, méprisent nos valeurs." Bien qu’on sente que ce n’est pas "correct" de le dire, ce qu’on aimerait, au fond, c’est que les immigrants (un terme vague incluant souvent des membres de communautés qui vivent au Québec depuis des générations) deviennent des Québécois non pas seulement au sens juridique et citoyen, mais au sens culturel et identitaire du terme.
Les opposants à cette tendance lourde sont de deux camps. Il y a le camp comptable qui calcule sans états d’âme qu’on a besoin d’immigrants pour augmenter la population et faire rouler l’économie, et le camp "multiculturel", plus répandu chez les fédéralistes, qui ne connaît de droits que les individuels et qui voit une identité dans l’absence d’identité.
Pourtant, il faudra bien reconnaître que dans ce sentiment de crainte parfois mal exprimé et souvent mal informé, il y a une profonde volonté populaire qu’il serait antidémocratique d’ignorer. Si les politiciens s’attardent plutôt à étouffer le débat, à changer de sujet, à noyer le poisson, c’est là que les choses risquent le plus de déraper par la suite.
En ce sens, il faut faire plusieurs distinctions. Le Québec est plus antireligieux que xénophobe. Il y en a bien certains qui veulent tasser "les autres" religions pour refaire de la place à la "nôtre", mais ils sont très minoritaires.
Il y a ceux qui veulent qu’on tasse complètement la religion de l’espace public. Et il y a ceux, et il me semble que c’est la majorité, qui sont pas mal d’accord avec ça, sauf l’exception d’éléments chrétiens "sécularisés". Noël est rendu la fête des cadeaux; Pâques, celle des lapins en chocolat; et l’Halloween anglo-saxon a remplacé la mi-carême comme fête du déguisement. On n’ira pas se couper le seul fun rituel qu’on se permet encore. Ce sont, à toutes fins pratiques, des célébrations civiles, ouvertes à tous. Je suggère alors qu’on les désigne comme des festivals plutôt que des fêtes, ce sera bien plus simple…
Nationalisons les religions!
En fait, il faudrait être conséquent et accorder toutes les religions avec la Charte québécoise des droits et libertés. Il y aurait liberté de religion, mais toutes devraient respecter les dispositions de la Charte. Ce qui veut dire, par exemple, que les hommes et les femmes devraient être égaux, ce qui ferait tomber autant l’exigence du voile dans l’islam que le refus de la prêtrise catholique aux femmes, entre autres bouleversements hérétiques. Cool…
Sinon, c’est illogique. Il y a deux droits en compétition. Avec la subordination des religions à la Charte, tous les prêtres québécois se feraient excommunier par Rome et on se retrouverait avec une Église québécoise. Et un islam du terroir et un judaïsme local et tout et tout. On pourrait avoir notre pape, notre imam en chef, notre grand rabbin (qui pourraient d’ailleurs être des femmes dans chaque cas), tous excommuniés de leurs communautés mondiales socialement en retard respectives et accrédités par le ministère des Affaires spirituelles. On pourrait croire au paradis, au jugement dernier, à la réincarnation ou aux extraterrestres, mais il faudrait respecter la Charte.
Toutes les religions vont être contre cette idée.
Ce qui prouve au moins que ce serait une solution équitable…