Impertinences

Notre part

Je suis dans une rue à Montréal et j’ai besoin d’un taxi. Par pure superstition (la religion secrète d’une majorité d’athées…), je me prends une cigarette. C’est bien connu, il suffit qu’on allume une cigarette pour qu’un taxi ou un autobus se pointe et qu’on n’ait pas le temps de la finir. Ça marche encore mieux que j’aurais pensé: un taxi surgit de nulle part alors que je n’ai même pas allumé ma cigarette. Échange de regards, il me fait signe qu’il est libre et d’entrer. J’ouvre la porte, cigarette non allumée à la main.

"Ça marche à tout coup… dis-je au chauffeur. Dès que j’essaie d’allumer une cigarette, ça fait apparaître un taxi." Je commence alors à ranger ma cigarette dans son paquet quand, se tournant vers moi, il m’en fait voir une presque finie qu’il tenait, bien cachée. Il me dit: "Ça peut s’arranger…" L’accent est clairement maghrébin.

Il y a longtemps que je n’en ai pas grillé une dans un taxi, et cette petite entorse aux règles mutuellement consentie me fait bien plaisir. "On a juste à faire attention, sinon, c’est l’amende pour nous deux", me dit-il. Cool.

Je tends une perche, activant du même coup ma firme de sondages interne: "C’est un accommodement raisonnable…" Il me regarde dans le miroir, le visage est espiègle: "Tu ne vas pas faire ton Mario LePen, là…"

Et nous avons jasé un peu de ce grand débat national. Selon lui, le Québec est en partie artisan de son malheur en sélectionnant n’importe qui comme immigrants, sans se soucier de leurs chances de s’intégrer. Je lui réponds que c’est aussi un peu la faute du multiculturalisme à la Trudeau. Il ne me relance pas là-dessus. J’imagine qu’il veut éviter qu’on glisse sur le dossier constitutionnel.

Lui-même est musulman et pratiquant, mais il ne lui viendrait pas à l’esprit de demander quoi que ce soit pour qu’on s’accommode à sa religion. C’est son affaire à lui. C’est d’ailleurs ce que j’entends de la majorité des musulmans que je connais. Si la commission Bouchard-Taylor réussit à donner une visibilité, et pas seulement dans la communauté musulmane, aux modérés comme lui de toutes les religions, ce sera un vif succès.

Mais ce n’est pas si facile. Beaucoup d’immigrants ont encore le réflexe de se tenir bien tranquilles, de ne pas prendre la parole publiquement. Ils ont fui des situations où parler librement était impensable. Il en reste encore quelque chose. D’autant plus que, même s’ils ne sont pas d’accord avec les plus intégristes de leurs communautés respectives, ils n’oseront pas les contredire publiquement. Aussi intégrés soient-ils, la communauté d’origine est encore leur base la plus solide. Si jamais vient un coup dur, qui va engager le Libanais qui a un accent quand il parle français? Qui va donner une job au sikh, au juif, au Noir? Même ce chauffeur qui m’a gentiment "accommodé" en tant que fumeur, le temps d’une complice délinquance, préfère ne pas se mouiller, d’où le fait que je le laisse anonyme dans cette chronique.

Le ghetto, ça peut venir d’un refus de s’intégrer de certains immigrants. Mais ça peut aussi venir du fait que, malgré leurs efforts, ils n’y arrivent pas. C’est, à mon sens, une des contreparties les plus criantes exprimées lors de cette première audience de la commission Bouchard-Taylor, à Gatineau. Les verrous corporatistes de certaines professions et le refus de reconnaître l’expérience pertinente hors Québec ou de trouver une méthode équitable pour reconnaître les équivalences ont bien plus posé obstacle à l’intégration des immigrants que l’exigence de parler français, la laïcité ou l’égalité hommes-femmes. C’est notre part du deal. Et nous n’avons absolument rien à perdre là-dedans, si ce n’est quelques chauffeurs de taxis sur-éduqués pour la job…

ÉQUIPE-QUEBEC

Ça n’a aucun rapport en apparence. Mais je ne pouvais pas passer cette découverte sous silence. Les lecteurs d’Impertinences connaissent mon enthousiasme pour l’idée d’une équipe-Québec dans certaines compétitions de hockey. Or il se trouve que la CBC a simulé sur X-Box une rencontre entre une équipe-Québec et une équipe-Canada. Vous pouvez voir tous les détails ici: www.cbc.ca/sports/indepth/feature-canvque.html. Étonnant, tout de même, que ce soit du côté de Radio-Canada anglais qu’on ait eu cette intrigante idée…

Le match a été serré. Il a donné l’occasion à tous les Brière, Brodeur, Ribeiro et Lombardi sur la glace de même qu’aux Tremblay, Taja, Goldberg et N’Guyen du Québec une occasion de capoter ensemble, de se mordre les doigts, de pousser des oh, des ah et de se sauter dans les bras à titre de Québécois. C’est pas de l’intégration, ça?

Score final: 3-2 Québec en fusillade.

Le vois-tu comme c’est beau?