Impertinences

La tribune téléphonique Bouchard-Taylor

Comme show télé, la commission sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles n’accote pas la commission Gomery. C’est qu’il n’y a pas d’enjeu, pas de méchant à pogner, pas d’aveux à soutirer, pas d’habiles menteurs dont on pouvait apprécier le patinage artistique, juste le défilement des opinions, témoignages et suggestions de citoyens ordinaires. On y a souvent l’impression d’assister à une vaste tribune téléphonique en chair et en os. C’est là que je me dis qu’on gaspille le pouvoir de la téléréalité en la réservant à des concepts comme Occupation double. Il aurait fallu dans chaque ville qu’on puisse voter pour le meilleur témoignage, avec une finale nationale où les candidats auraient débattu entre eux de la meilleure façon de vivre ensemble en harmonie. On aurait pu appeler ça "Occupation trouble"…

Quand même, je ne peux pas m’empêcher de regarder. L’exercice a beau provoquer quelques moments de malaise, présenter quelques témoignages mal ficelés et nous dévoiler quelques grandes gueules pas sortables, le tout a quelque chose de touchant. Des petites madames qui viennent réitérer pour une centième fois que ça les peine de voir des femmes voilées. Des mononques que la révolution tranquille a pourtant dû bousculer dans leurs anciennes certitudes viennent expliquer les bienfaits de l’égalité homme-femme. Des jeunes de la génération passe-partout viennent dire que tout le monde est gentil, en autant que tous parlent français, ça va être correct. À mon grand bonheur, j’y ai même vu un immigrant, de façon audible de provenance sud-américaine, défendre notre façon de parler le français contre les attaques de toutes ces maîtresses d’école qui profitent des audiences pour donner des coups de règle sur les doigts de la québécitude. Gracias, mon chum.

Jusqu’à maintenant, le punchline de ces audiences revient à cet immigrant de la première session, à Gatineau, qui a affirmé qu’il y avait deux types d’immigrants au Québec: ceux qui sont arrivés avec Champlain et ceux qui sont arrivés avec Air Transat. C’est le genre de belle phrase qui fait rigoler et qui s’applaudit bien. Mais qu’on y songe deux minutes, ça ne tient pas la route. La gang qui a débarqué avec Champlain a eu le temps au fil de l’Histoire de développer une identité propre, différente de l’origine française, et enracinée dans ce nouveau territoire.

L’enjeu, c’est de savoir si ceux qui sont arrivés subséquemment se joignent à cette nouvelle identité, s’ils restent reliés par un cordon ombilical à leur culture d’origine ou s’ils vont se construire leur propre petite affaire à eux ici. La majorité des témoignages, autant des Champlain que des Air Transat d’ailleurs, ne fait que dire ceci: "On veut sentir que vous êtes dans notre gang."

Elle est là la grande différence avec le reste du Canada. Au Québec, la cohabitation culturelle ne suffit pas. À tort ou à raison, on a peur qu’à la longue, de nouvelles identités, imperméables à notre culture, ne menacent notre identité commune. Ça prouve au moins une chose. C’est qu’on en a une.

LE CLERGE CONTRE-ATTAQUE

Au Saguenay, la paroisse Le Sacré-Coeur a récemment célébré une messe pour appuyer le maintien de la prière lors des séances du conseil municipal. Un certain Jacques Tremblay, qui avait tout l’air d’un prêtre, y a solennellement déclaré ceci:

"Ce n’est pas pour rien qu’on fait cette célébration dans l’église du Christ-Roi: c’est que le Christ est roi, et il doit régner dans tous les secteurs de l’activité humaine, et ça comprend le secteur politique, le secteur social, le secteur économique; tous les secteurs doivent être sous la seigneurie du Christ."

Whattttt? C’est un discours de taliban! Ce bleuet curé voudrait nous ramener avant la révolution tranquille, avec les processions de la Fête-Dieu et les bénédictions de chantiers. Je n’en reviens pas d’entendre pareille bondieuserie. Finalement, ce Jacques Tremblay n’est qu’un agent de pastorale, en probation de surcroît, et l’évêque du diocèse de Chicoutimi, Mgr André Rivest, désapprouve son initiative. Bon.

Sauf que ce que l’évêque désapprouve avant tout, c’est que cette célébration puisse avoir l’air d’un appui politique au maire Jean Tremblay, ce qui est gênant dans une enceinte sacrée. Il n’a par contre aucun problème avec les revendications de l’évènement. Cela révèle que, loin de se poser en exemple d’acceptation de la laïcité (ce qui enverrait un message clair aux autres religions de se calmer le kirpan), le clergé québécois rêve en sourdine que tout ce débat et toute cette insécurité identitaire fassent retrouver aux catholiques le chemin des églises et que la foi reprenne son rôle dominant au Québec. Du coup, je redécouvre moi-même le goût de la prière.

"Mon Dieu, faites qu’ils se trompent."