Impertinences

Horreur et téléréalité

Je suis tombé par hasard sur les premières des deux grosses téléréalités québécoises que sont Occupation double et Loft Story. J’ai regardé un peu, toujours en essayant de comprendre la fascination qu’exerce ce genre d’émission pour une grande partie de la population. Et je ne comprends toujours pas. Ben oui, Véronika est ben cute et Yannick a l’air d’un nouveau modèle de gars plutôt cool. Mais je ne vois toujours pas ce qui me ferait me passionner pour les intrigues que pourront développer ces bandes de kid-kodaks en mal de gloire. Et pourtant, j’en regarde de la télé.

C’est que je ne crois pas une seconde à l’illusion de spontanéité que ces émissions veulent installer. Je pense que c’est là qu’est la clé. Si tu arrives à faire abstraction de la machine, de la pas du tout subtile scénarisation des êtres et des rencontres, il est possible de s’intéresser au spectacle de jeunes ordinaires (quoique obligatoirement télégéniques) en interaction, et de voir ces émissions comme autant de fenêtres sur une génération ou de laboratoires de sciences humaines. Mais je n’arrive pas à y croire. Au mieux, je peux voir ces concoctions télévisuelles comme de longues impros pas très relevées où les comédiens jouent leur propre caricature.

Des fois, je me dis que ça doit être le même gène qui fait aimer les films d’horreur. Pas de blagues. Pour vraiment apprécier un film d’horreur, il faut accepter les innombrables conventions du genre. Et là non plus, je n’y arrive pas. Depuis que j’en ai vu un sans le son, il y a très longtemps, les simagrées des monstres/méchants/maniaques et les airs horrifiés des victimes me font rire.

UN GRAND MOMENT DE TELE

Au moins, dans le cas d’émissions comme Star Académie, le talent entre en jeu. On a beau être ici dans le clinquant gonflé à la convergence promotionnelle et l’esthétique criarde, il peut y avoir de vrais talents là aussi. J’en veux pour preuve un extrait d’une émission britannique du même genre, Britain’s Got Talent, qui m’a fait craquer. Cette émotion m’a d’ailleurs fait énormément plaisir. Enfin, je me sentais en phase avec mon époque et je vibrais pour un moment de téléréalité, tout britannique fut-il. Je ne sais pas si vous avez vu le montage montrant ce petit monsieur du nom de Paul Potts (ça ne s’invente pas) à l’oeuvre devant les juges de l’émission, mais c’est un vrai bijou. Vous n’avez qu’à le Googler pour le trouver.

Je résume: devant trois juges qui s’attendent à écrapoutir une coquerelle pour le plus pervers plaisir de millions de téléspectateurs se présente un homme trapu, joufflu, aux dents croches, aux yeux un peu trop près l’un de l’autre, et visiblement très nerveux dans son mauvais complet. En plus, ce vendeur de cellulaires leur annonce qu’il va chanter de l’opéra. Roulement d’yeux chez les juges. Let’s go.

La musique commence et l’homme prend son courage à deux mains. Puis, il se met à chanter. Et dès les premières notes, on sait que c’est fini. Il a gagné. Ce Paul Potts est un chanteur d’opéra. La petite nymphette pop qui aurait pu gagner toutes les années précédentes est immédiatement réduite au statut de figurante. En une seconde, les juges sont passés du mode "Ce sera un mauvais moment à passer, ne soyons pas trop méchants" à "Oh boy, va falloir faire semblant qu’il nous reste encore une émission pour toutes ces semaines à venir." Ce gars-là vient de sortir de son cocon et de se mettre au monde devant des millions de téléspectacteurs. Rien de moins. Ne serait-ce que pour ce moment-là, je suis content que la téléréalité ait existé.

POUR UNE TELEREALITE UTILE

Mais outre les concours de talent, je me désole que nous n’importions pour notre télévision québécoise que les concepts les plus creux. La Petite Séduction et Donnez au suivant, c’est bien charmant, mais il y a encore mieux. The Dragon’s Den, à CBC, montre des inventeurs et autres entrepreneurs allant "pitcher" leur projet à des investisseurs qui ont du vrai argent (du canadien!) à investir. C’est passionnant et ça vaut bien des cours d’économie. Il y a aussi une autre émission où des patrons sont forcés de remplacer un de leurs employés dans ses tâches, ce qui, en général, mène à une augmentation tout de suite après. Des idées qui se confrontent, des chocs de classes sociales, c’est là, il me semble, que le concept de téléréalité prend toute sa pertinence. J’ai moi-même présenté récemment un concept du genre pour faire se rencontrer des Québécois de cultures différentes. Les propos tenus à la commission Bouchard-Taylor me le confirment, je pense encore que c’est une maudite bonne idée.

Plutôt que de mettre en scène une réalité, pourquoi ne pas au moins tenter de faire oeuvre utile? J’ai la conviction que la téléréalité peut être un outil puissant et constructif. Dommage qu’on le laisse entre les mains de ceux qui ne visent qu’à faire de l’argent facile avec.