Impertinences

Si Paris vaut bien une messe…

C’est parfois pratique d’avoir une religion. Je m’en suis personnellement inventé une qui me sert uniquement lorsque je reçois un appel de télémarketing. Par exemple, récemment, j’ai reçu un appel pour une carte de crédit. J’ai répondu à la fille que ça ne m’intéressait pas, d’un ton qui n’invitait pourtant pas à en discuter pendant des heures. Quand elle a insisté quand même, je lui ai dit que c’était contre ma religion. Fin de la discussion, excusez-moi, bonsoir. Pas besoin de lever le ton ou d’avoir à raccrocher au nez de quelqu’un. Vous essaierez, c’est étonnant.

Ainsi, l’Église de parentologie exige de moi que je restreigne au strict minimum mon utilisation du crédit, m’interdit de posséder une pompe à chaleur ou de m’abonner à un journal en super-rabais-de-promotion-pour-un-temps-limité ainsi que d’utiliser les services d’une compagnie de nettoyage de tapis. Dans ce dernier cas, cependant, il est plus simple de leur dire que je n’ai juste pas de tapis…

IMAGINONS UN PETIT WISE QUI S’INVENTE SA RELIGION

Imaginons maintenant qu’un enfant d’une famille d’athées ou d’agnostiques, voyant ses petits camarades de classe obtenir des permissions pour porter ceci ou cela ou de s’absenter pour une fête religieuse, et trouvant injuste de ne rien à avoir à demander de son côté, décide de faire la même chose et de s’inventer une religion, tout candidement, sans aucune intention ironique. Dans sa tête à lui, ce serait une déduction logique, la religion lui apparaissant comme un genre de mot magique qui permet d’arranger les choses à notre goût. Un peu comme, à un certain âge, plusieurs enfants pensent que la carte de crédit crée de l’argent à volonté.

Il se dresserait une liste de commandements à suivre. Bien sûr, comme c’est lui qui les invente, tous iraient tous dans le sens de ses goûts. Il lui serait interdit de manger des rognons, de porter une tuque quand il fait au-dessus de moins 20 degrés Celsius et porter des combinaisons serait un péché capital. Dans le salon, il y aurait une chaise interdite à sa soeur et il aurait le droit sacré de regarder les bonhommes, le samedi matin, sans être dérangé. Il s’inventerait une hiérarchie religieuse avec un grand Bouzouk et des apprentis Bouzouks, et tout le monde trouverait ça cute. Ses parents embarqueraient, sourire en coin, tant que ça ne brime personne et que c’est dans les limites du raisonnable.

Mais voilà, un jour, devant un examen pour lequel il ne se sent pas assez préparé à son goût et enivré du pouvoir de sa religion, ce nouveau pratiquant indique que c’est contre sa religion de répondre à des questions d’examen et la met en pratique en ne répondant à aucune question, tout en s’attendant à ce qu’on ne lui donne pas zéro puisqu’on ne peut pénaliser personne en raison de sa foi.

À ce moment-là, les parents et l’école réagiraient, avec raison. Mais au delà du disciplinaire, il faudrait expliquer à ce jeune autopape la distinction entre une religion et de simples convictions personnelles, mais aussi entre des convictions des goûts et des caprices.

PATAUGEONS DANS LA ZONE GRISE

Chaque fois qu’on a dit, en réaction à l’acceptation du port du kirpan à l’école, que tant qu’à y être, on pourrait se pointer avec une mitraillette à l’épaule, on pataugeait dans cette zone grise. Des millions de Sikhs considèrent important de porter un petit couteau sanglé dans une gaine au nom de leur foi, de leur identité culturelle et religieuse. Alors qu’aucun Québécois n’a vraiment envie de porter la mitraillette en classe si ce n’est pour faire effacer le droit obtenu par les Sikhs, soit par principe, soit par réaction xénophobe, et la plupart du temps pour un savant mélange des deux. (Je suis pour ma part contre, mais c’est purement par principe…)

Si le cours "Éthique et religion" qui est proposé pour remplacer les cours de religion fait bien son job, on aura au moins des enfants qui sauront faire la distinction. Il y a une différence entre des exigences inventées expressément pour profiter du système et de profondes convictions partagées par toute une communauté. Et ce n’est pas seulement parce que le premier est de mauvaise foi et que les autres sont sincères. C’est une question de nombre et d’enracinement qui dépasse la somme des individus qui forment le groupe.

Or, si ça vaut pour les religions, ça doit aussi valoir pour les identités nationales. Aussi mal ficelé que puisse être le projet de loi de Pauline Marois sur l’intégration des immigrants, il ne faudrait pas rejeter le principe. Si, comme aurait dit Henri IV au moment de se convertir au catholicisme pour devenir roi de France, Paris vaut bien une messe, le Québec vaut bien un cours de français.