Toute la question identitaire soulevée par la "crise" des accommodements raisonnables est devenue une tornade au Québec. Canalisée par la commission Bouchard-Taylor, elle tourne en rond sur elle-même et fait beaucoup de bruit tout en faisant revoler beaucoup de bouette et de garnotte. De proche, on peut y voir virevolter de bien vilaines choses entre les turbans et les crucifix mêlés à des brouillons de travaux d’histoire du secondaire et des pages de charte des droits utilisées comme papier de toilette. Mais elle avance aussi, lentement, arrachant les clôtures, vidant les marécages.
Tout ce qui touche à l’intégration des immigrants, à l’identité, à la langue, et qui macérait depuis des années sous le poids des tabous, s’y trouve happé et projeté dans le public à une vitesse folle. Qu’il s’agisse des obstacles à la reconnaissance des diplômes étrangers, des trous dans la loi 101, de la frustration des amateurs de hockey de ne pas entendre un mot de français de la bouche du Finlandais capitaine de leurs Glorieux, voilà que ces questions sont enfin soulevées avec suffisamment de force pour que les choses bougent. Il n’y a pas si longtemps, toutes ces revendications restaient lettre morte. Le vent a tourné. On commence même à reparler de ce que Richard Martineau appelait à LCN lundi soir, lors de la couverture des audiences de Drummondville, le "gorille de 400 tonnes" que tout le monde fait semblant de ne pas voir, soit l’indépendance du Québec comme solution à l’insécurité nationale.
On a beau être tanné d’en parler et d’en entendre parler, force est d’admettre qu’il fallait passer par cette thérapie collective. Jusqu’à maintenant, la tornade dérange plus qu’elle ne blesse. Plusieurs la regardent gronder, inquiets non sans raison qu’elle n’emporte la maison. Mais on ne compte présentement qu’un imam peu recommandable comme victime, balayé loin d’ici. Avec un peu de chance, une fois la frayeur passée, peut-être aurons-nous eu droit finalement à une sorte de tornade salvatrice. Elle permettrait d’arracher les clôtures qui isolent les ghettos, nous pousserait à renforcer les infrastructures de protection là où il est raisonnable de le faire, mais surtout, au lieu de la peur, elle éveillerait chez les Québécois une volonté de s’affirmer essentielle à l’intégration de nouveaux arrivants et à laquelle aucun programme gouvernemental ne pourra jamais se substituer. Après la Révolution tranquille, voici la tornade chirurgicale. Si ça ne dérape pas, bien sûr…
À ce titre, je salue bien bas les deux grands druides qui tentent de dompter ce vent intempestif. Gérard Bouchard et Charles Taylor ont souvent été critiqués pour avoir interprété de manière trop large le mandat de leur commission. Mais imaginez un moment s’ils avaient agi en technocrates pointilleux pour refuser tout témoignage dépassant la stricte question des accommodements religieux sur la place publique. Tous ces citoyens qui jouent du coude pour prendre la parole se seraient retrouvés écartés, hors d’ordre. Tout ce vent qui gronde se serait buté à un mur. Les plus frustrés auraient pu siffler des "On veut nous faire taire" et autres "C’est arrangé avec le gars des vues". Qui sait où le vent aurait pu ressurgir ensuite?
Messieurs les commissaires ont choisi d’ouvrir grandes les portes et font face au vent. Il faut se taper les audiences au complet, comme on nous les présente à LCN, pour apprécier leur travail. Ils tempèrent les plus emportés, corrigent les erronés, distinguent entre la méprise et le mépris, traduisent les propos malhabiles, extirpent le sens caché dans la gangue des clichés et semblent sincèrement apprécier toute intervention apportant un éclairage nouveau. Et tout ça de façon on ne peut plus accessible, dans un langage ni opaque ni condescendant. On souhaite que les politiciens aient autant de doigté pour continuer le travail…
QUÉBEC 2008
Aux dernières nouvelles, la présence de l’auteure britannique des Harry Potter, J.K. Rowling, était une des principales attractions prévues pour les festivités du 400e anniversaire de la fondation de Québec. Dans une ville qui a été conquise par les Anglais, faut vraiment se foutre des symboles…
Et le gouvernement fédéral de Harper qui profite de la désorganisation pour arriver avec son argent et ses conditions, ce qui aurait pour effet de suspendre, le temps des célébrations, les dispositions de la loi 101 sur l’affichage en français. Le 400e de Québec se transforme ainsi peu à peu en anniversaire de la fondation du Canada! Il ne s’agit pas d’être fermé à toute forme de célébration de la canadianité au Québec, mais des occasions de fêter le Canada et la Confédération, il y en a d’autres. C’est encore d’un détournement d’identité qu’il s’agit. Le Québec a beau être une nation, il vaudrait mieux ne pas trop le dire. Si la tornade identitaire a effectivement une intelligence, elle serait bien avisée de souffler un peu de ce côté-là…