Oui, le moment est venu
L’écho des Cantons

Oui, le moment est venu

La restriction a toujours été une source féconde d'inspiration pour le milieu des arts. À mon avis, sauter les barrières et faire fi des interdictions se retrouvent dans la définition de tâches des artistes. Il n'est pas nécessaire d'avoir le culot d'un Duchamp, mais un esprit frondeur est toujours le bienvenu, voire de mise.

Ces jours-ci, une balade au centre-ville de Sherbrooke peut prendre des allures de visite au musée, car la réglementation interdisant l'affichage (que j'ai commentée il y a quelques semaines dans cette chronique) a donné naissance, ou plutôt donné raison, à des manifestations artistiques dignes de mention et de plus en plus nombreuses.

La plus connue regroupe les petits bonshommes et les messages humanistes de celui qui se surnomme Monsieur Ultra Nan (il y a plusieurs de ses ouvres sur la clôture longeant le chemin de fer), la plus inusitée est sûrement celle du lerunningman.com, qui conserve les traces de ses inoffensives frasques sur son site Internet, mais celle qui m'a le plus interpelé peut être observée dans la vitrine de différents commerces: Le Tapageur, Auguste, Le Joly Gourmet, Secrets de ménagère, Madame Pickwick… Il s'agit de photos, en majorité des portraits de gens du centre-ville, accompagnées d'un texte poétique avec une adresse courriel en guise de signature: [email protected]. Intrigant, non?

Lever le voile

Malgré le côté anonyme de cette manifestation orchestrée grâce au soutien de gentils commerçants, j'ai su qui se cachait derrière le pseudonyme Ouisekunjalo. Je lui ai proposé d'en discuter pour en faire part dans ce Pop culture, tout en lui promettant de ne pas mentionner son nom. La rencontre a eu lieu et, d'emblée, il m'a donné la permission de lever le voile sur son identité, comme si l'anonymat n'avait plus sa raison d'être puisque l'«exposition» tire à sa fin. «Là, ça ne me dérange plus», nous a-t-il dit.

Ainsi (roulement de tambour), Ouisekunjalo, qui signifie «oui, le moment est venu», est Normand Achim.

Le charme des contradictions

Cet artiste est célébré en Estrie pour ses photographies (l'an dernier, il exposait à la Galerie d'art de l'Université de Sherbrooke), mais sa plume mérite autant d'attention. Ainsi, les 13 photos qu'on peut voir en ville, des dons aux passants, servent d'appât pour l'oil afin que les quidams en viennent à lire la poésie de Normand Achim. Pour lui, c'était une façon de dire que celle-ci existe.

Cette manifestation au cour de la ville permet également à Normand Achim de souligner qu'il a tourné la page, qu'il prend sa «retraite». Il restera artiste jusqu'à la fin de ses jours, mais il ne veut plus défendre son travail, d'où cet anonymat temporaire.

Pourtant, de nouveaux projets de création animent l'artiste. Cela témoigne d'une certaine ambivalence, mais Normand Achim est tout à fait à l'aise avec les contradictions. Sa poésie à la fois sombre et positive en fait preuve.

Lèche-vitrine

Les photos seront enlevées au début juin. Je vous invite donc à effectuer du lèche-vitrine atypique afin d'apprécier le grand talent de Normand Achim. De plus, si vous lui écrivez, il vous enverra une photo exclusive. Profitez-en.

J'espère que ces clichés auront une deuxième vie, qu'ils seront exposés en un autre lieu. Pour ma part, je les verrais bien à l'hôtel de ville de Sherbrooke, afin de montrer aux élus que malgré un trop-plein de politiques aux visées mercantiles, l'art persiste et signe.