Archambault, tu brises la magie
Tranche de vie. Lors d'un bon nombre de mes années d'études à l'Université de Sherbrooke, j'ai été «libraire» et «disquaire» au magasin Archambault de mon patelin. J'utilise les guillemets, car un job de conseiller des disques et des livres n'accote pas les joies (et les misères) des véritables métiers de disquaire et de libraire, pour lesquels j'ai le plus grand des respects. Toutefois, même si ce n'était pas la totale, j'adorais ça! Pour «le moi de cette époque» (celui qui était puéril et insouciant), c'était le boulot idéal. Si j'avais un peu plus de lousse dans mon agenda actuel, je crois que je le ferais encore à temps perdu, que je renfilerais ma veste avec un petit Archambault brodé et des macarons cool épinglés un peu partout.
Discuter longuement avec les collègues ou quelques érudits clients des tendances musicales et des nouveautés littéraires, c'est ce qui comblait la plus grande partie de mes heures de «travail». Évidemment, il fallait placer (et replacer) livres et disques, mais on s'arrangeait habituellement pour que ça ne brime pas les conversations. Tout cela se faisait au vu et au su des sympathiques patrons (parmi les meilleurs que j'ai pu avoir), qui en faisaient tout autant.
Pour le service à la clientèle, je crois que j'étais pas si pire, sauf peut-être pour cette dame qui cherchait le disque de jazz idéal pour une soirée romantique, avec du saxophone pour être précis. En puriste que j'étais, je lui ai dit qu'elle ne pouvait pas se tromper avec A Love Supreme de John Coltrane, mais elle est revenue le lendemain pour se faire rembourser (ce qui était encore possible à cette époque vierge de MP3)… J'avais sûrement gâché son souper en tête-à-tête, car elle est repartie avec un disque de Kenny G.
Le bonheur suprême, c'était lorsqu'on se faisait poser une question quant à une chanson qui jouait à la radio et que le client commençait à nous la chanter pour qu'on lui trouve le nom de l'artiste. Quand ça arrivait, je faisais toujours l'innocent pour demander de l'aide à mes collègues et ainsi partager avec eux cette ridicule joie d'entendre un badaud chanter des na-na-na sur un air commercial. Le ridicule ne tue pas, mais il peut adoucir les mours.
Évidemment, la paie était minimale, mais les avantages marginaux étaient nombreux: rabais de 50 % sur les disques et de 35 % sur les livres, possibilité de tout emprunter dans le magasin, quelques gratuités, des billets de spectacles… Ça, c'était il y a quelques années, car je sais que la situation a changé depuis que j'ai quitté les rangs, ou plutôt depuis que Quebecor est devenu propriétaire de l'entreprise. Disons que quelqu'un quelque part a serré la vis pour que l'agréable laxisme de mon époque appartienne au passé. Douce nostalgie.
Le clan avant la culture
Depuis que je suis redevenu client d'Archambault, j'entretiens une relation ambivalente avec le magasin. J'y vais encore à l'occasion, mais ça me torture de savoir qu'il s'agit d'un des tentacules de la pieuvre responsable des malheurs des lock-outés du Journal de Montréal… et de mon propre malheur (plus petit celui-là) pour me faire subir Star Académie. D'un autre côté, le magasin compte quelques bons employés qui, de peine et de misère, font perdurer l'esprit de collégialité d'autrefois. Il y est encore possible de discuter musique et littérature.
Ainsi, grâce à son personnel, Archambault est encore synonyme de culture, mais le patronat vient souvent rappeler que l'esprit du clan passe avant les valeurs fondatrices de l'entreprise. Mon collègue de la distribution de Voir Estrie en sait quelque chose: depuis cette semaine, on lui interdit de laisser des exemplaires du journal dans l'entrée du magasin. Pourquoi? Parce qu'on ne fait pas partie de la clique.
Peu importe. Archambault, tu brises la magie, mais moi pis ma gang, on va continuer à vous faire vendre ces belles futilités que sont les disques, les livres et les DVD. On croit fortement en notre leitmotiv: informer, stimuler et rapprocher les consommateurs de culture. Dommage que vous nous tourniez le dos.
Monsieur Petit, il vous reste toujours une option: vous savez qu’il existe encore à Sherbrooke un disquaire indépendant, un seul, qui vend exclusivement du neuf. Je ne cache pas mon identité, je suis propriétaire de ce magasin, Musique Cité. (Désolé pour la « plogue »).
Et Musique Cité continue à offrir un espace pour la distribution de Voir Estrie !
Et Musique Cité continue à référer certains de ses clients à Archambault pour certains produits. Comme Kenny G, justement, et tout ce qui s’appelle musique « classique », puisque je sais qu’il se trouve chez Archambault, en la personne de Pier-Carlo Liva, un véritable connaisseur.
Et Archambault continue à nous retourner la politesse. Heureusement. La survie des disquaires passe par le respect et la collaboration, dans le contexte normal d’une saine concurrence.
Continuez, comme vous le dites, à « faire vendre ces belles futilités que sont les disques, les livres et les DVD ». Il vous serait difficile de faire des critiques de disques en excluant tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’Empire Péladeau. Même les étiquettes de disques qui portaient fièrement le flambeau de l’indépendance se voient maintenant forcées, pour le meilleur et pour le pire, à conclure des alliances avec l’Empire. L’Empire est incontournable et les rebelles sont en voie de disparition.
Que la Force soit avec nous !
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J’ai le goût de réagir à ce que vous dites, en deux parties. La première partie tombait bien pour moi cette semaine où j’ai été déçue de l’implication d’une libraire chez Archambault, et ce n’était malheureusement pas la première fois. De vous entendre sur ces belles années où l’esprit d’équipe, l’implication et l’amour du métier battaient son plein m’a fait réfléchir, surtout que vous suggérez qu’il existe encore de ces personnes impliquées. Ça m’a donné le goût de redonner une chance aux coureurs .
La deuxième partie m’a refroidi. Ce refus de disposer le magazine Voir à l’entrée du magasin, je ne le comprends pas du tout. C’est se tirer dans le pied ! Justement, le Voir nous renseigne si bien sur nos futurs achats. Il m’arrive d’agripper l’exemplaire au moment précis où je pénètre chez Archambault, et avec le « Voir recommande », il est facile de situer rapidement un achat, livres ou disques, en confirmant un choix ou découvrant un nouvel arrivage.
La convergence est pourtant évidente entre Archambault qui offre des disques et des livres et le magazine culturel Voir qui en parle abondamment. C’est à croire qu’il y a confusion sur le sens du mot convergence. Je trouve cette situation si aberrante que j’en viens même à me demander s’il n’y a pas tout bêtement un malentendu. Une erreur qui va être corrigée sous peu.
J’allais vous parler de Musique Cité, mais M. Lecours m’a devancée.
Je n’achète pas très souvent de nouveaux disques (j’aime réécouter les mêmes vieilles affaires!) mais lorsque je le fais, je vérifie toujours si je peux les obtenir chez Musique Cité avant de me rendre dans les autres commerces.
Je ne crois pas qu’il y ait d’équivalent pour les livres à Sherbrooke, mais mon approche est similaire : je vérifie d’abord si je peux trouver un exemplaire usagé plutôt qu’un neuf (ex.: au Tourne-Livre). Et il y a aussi la bibliothèque municipale…
Je préfère encourager les entreprises locales et/ou indépendantes lorsque c’est possible. Raison de plus lorsqu’elles sont localisées au centre-ville plutôt qu’en périphérie (par souci de la facilité d’accès sans auto; de la vitalité de notre centre-ville, etc.).