L’écho des Cantons

Devrais-je partir ou bien rester?

Petite mise en contexte. C'était un mardi soir; il neigeotait sur Sherbrooke. Tout en m'excusant, je quitte abruptement un copieux repas où j'étais entouré d'amis pour me rendre au Centre culturel de l'Université de Sherbrooke, afin de voir la pièce Le Bourgeois gentilhomme montée par le Théâtre du Nouveau Monde (TNM). «Bye bye! Buvez le vin sans moi.»

Je prends au passage une copine qui m'accompagne pour l'occasion. Nous avons chacun notre journée dans le corps, mais l'idée de voir du théâtre ce soir nous ravit. D'ailleurs, je trouve que la fatigue ne devrait jamais être un obstacle pour se rendre à un spectacle; même un ours qui tente l'hibernation demeure captivé devant un bon show, une belle performance.

Dans l'auto, on jase du Bourgeois gentilhomme. Cette pièce de Molière, nous la connaissons bien tous les deux, mais notre curiosité est grande quant à cette nouvelle version du TNM. Comme on dit: on est heureux d'être contents! «Y a de la joie! Bonjour, bonjour les hirondelles!»

Rendus au Centre culturel, nous mettons la main sur nos billets. Retardataires que nous sommes, nous voilà relégués au fin fond du balcon, car il y a foule (c'est presque complet). Mais cela importe peu, car pour le théâtre, toutes les places sont bonnes en cette salle; l'acoustique y est exemplaire.

Une fois assis, je constate que de nombreux groupes d'adolescents se trouvent près de nous. En fait, on est entourés, aucune issue. Ça sent la sortie scolaire à plein nez. Partout autour, ça joue au PlayStation portatif, ça s'envoie des messages textes, ça écoute son iPod, ça niaise, ça se donne des bines, ça mange des bonbons, ça se fait des tatas d'un bout à l'autre du balcon… Mais au nom d'un certain éveil de la jeunesse sherbrookoise à la culture, j'assiste à ce cirque avec détachement, voire avec un certain contentement. Vivement plus de jeunes gens dans nos salles de spectacle!

La pièce commence et, rapidement, je constate que le gâteau ne lève pas. Difficile d'apprécier le texte; certains comédiens nous le servent avec une patate dans la bouche, alors que d'autres prennent des voix tellement agaçantes et enfantines qu'on se croirait dans un surréaliste épisode de Cornemuse. Dans un décor plutôt simpliste, la mise en scène comporte beaucoup de «steppettes» et ça m'énerve. Si je voulais d'un show burlesque, j'aurais attendu à l'été prochain pour assister à la pièce de Gilles Latulippe. Au lieu de faire de Monsieur Jourdain un personnage de bourgeois risible, on en a fait un clown, qui fait tout de même rigoler la foule chaque fois qu'il grimace ou émet un rire niais. Si c'est ça Molière, qu'on le descende de son trône.

Sur mon banc, je gigote pour combattre le sommeil. La première partie de la pièce, qui fait près d'une heure et demie, me paraît interminable. À un moment, je me penche vers ma voisine et lui glisse un «Je m'emmerde!» à l'oreille. Elle me regarde et roule des yeux pour me signifier qu'elle est dans le même état que moi. Je remarque alors que tout autour de nous, les adolescents ont ressorti leurs babioles (iPod, cellulaires, etc.). Il y en a même quelques-uns derrière moi qui mangent des chips à grosses poignées. Eux aussi ont abdiqué; tout comme moi, ils ne sont pas captivés par cette pièce.

La délivrance se pointe à l'entracte, mais une grande question surgit: on part ou on reste? Pour quitter, ça prend du guts! C'est réagir à son ennui au lieu de le laisser nous envahir. Pour rester, ça prend de la foi. C'est donner une seconde chance, tout miser sur une conclusion heureuse.

Alors? Pensez-vous que je suis parti ou que je suis resté? Et vous, dans ce contexte, qu'auriez-vous fait?