Ces jours-ci, je jalouse les gens de la ville de Québec car, contrairement à eux, je dois vivre mes mauvais sentiments par procuration. En Estrie, ça manque de haine.
Je m'explique…
Si vous suivez le moindrement l'actualité, vous devez avoir entendu parler de Clotaire Rapaille, ce clown du marketing et des paroles creuses à qui le maire de Québec, Régis Labeaume, a confié la tâche de rajeunir l'image de la «Vieille Capitale». Sa collecte de données aux allures de freak show est en cours, mais faisant fi du sens de l'éthique, le king s'est déjà permis quelques remarques issues de ses notes divines. Ainsi, il en est venu à qualifier les gens de Québec de «complexés, sado-masos, obsédés par Montréal et fanas de radio-poubelle», et ça, ce n'est que la pointe de l'iceberg.
À Québec, la grogne semble être à l'image du personnage et de son cachet, soit surdimensionnée. Clotaire Rapaille serait devenu l'ennemi public numéro 1. Des intellectuels à la pensée cartésienne jusqu'aux bons citoyens, en passant par les disciples de talk radio de bas étage, toute la ville (ou presque) déteste une seule et même personne… Et moi, je trouve ça fascinant.
Être unis dans la haine… N'est-ce pas là quelque chose de vivifiant, voire de thérapeutique? Collectivement, les citoyens de Québec doivent avoir l'esprit plus léger et aguerri pour avoir combiné leur hargne de la sorte. C'est comme lorsque les Calinours mélangent leurs flux; ça donne un beau tit-arc-en-ciel. Cute.
Si c'était ça l'intention cachée de Rapaille, je suis un fan.
S'épanouir dans la haine
Voulant trouver qui était notre Rapaille à nous, les Estriens (et ainsi, avoir une thérapie de groupe du même ordre), j'ai demandé aux gens de mon entourage s'ils détestaient quelqu'un. J'ai eu droit à des noms d'ex, de voisins bruyants et de patrons malveillants, mais c'est quelqu'un de public que je recherchais, quelqu'un de connu de toute la populace des Cantons-de-l'Est. À ce niveau, aucune réponse valable.
Jean Charest? Bah… Détester nos politiciens relève plus du loisir; ça n'a rien de viscéral, c'est quasi sportif. Vincent Lacroix? Ouais… Le responsable du scandale de Norbourg est originaire de Magog, mais on se l'est fait piquer comme tête de Turc par l'ensemble de la province. Dommage… Il avait le physique de l'emploi.
Ainsi, impossible pour nous de s'épanouir collectivement dans la haine. (Soupir.) En Estrie, on doit donc se rabattre sur nos petites frustrations bien personnelles ou sur notre profil Hatebook, le pendant négatif de Facebook (oui, ça existe: http:// www.hatebook.org).
De l'autre côté de la haine
Bon… S'il fallait absolument désigner quelqu'un à détester en bloc pour le bien collectif, je suis prêt à poser ma candidature (comme ça, je m'évite de devoir nommer quelqu'un).
En fait, je constitue un excellent prospect, car être journaliste au Voir Estrie, c'est accepter d'avoir quelques détracteurs. Il y a les artistes qui m'en veulent d'avoir parlé d'eux sans louanges et ceux qui ne m'aiment pas car je n'ai pas parlé d'eux pantoute. Ainsi, je me dois de savoir gérer la haine (celle avec un petit h) et je m'en viens pas si pire.
Allez-y. Appelez-moi Matthieu Rapaille. Faites-moi mal et faites-vous plaisir. Je suis sûr qu'il y a un peu de sado-maso en vous.