Dur, dur, l’indépendance
Mardi. Pas ce mardi-ci, mais celui de la semaine dernière. J'appelle le Musique Cité, le «dernier disquaire indépendant de Sherbrooke» (faut-il vraiment le rappeler?), pour savoir si je peux y trouver le dernier album de Rufus Wainwright. «Non, me répond le propriétaire, Sylvain Lecours. J'en avais deux exemplaires, mais ils se sont vendus.» J'avais le goût de lui dire: «Juste deux!? T'en avais juste deux?!?!» Mais je me suis retenu. Il est vrai que les disquaires indépendants ne peuvent pas suivre les mêmes règles non écrites du marché du disque que les grandes surfaces.
«Hum… Dans ce cas, est-ce que tu as le nouveau de She & Him?» Mon disquaire préféré ne connaît pas… et évidemment, il n'a pas ça non plus. Dans ce cas-ci, je suis pas mal sûr qu'il avait envie de me dire: «Eille, maudit fatigant! Espèce de hipster de mes deux! Je ne peux pas tout le temps avoir tous les disques de tes p'tits groupes indie qui sortent de nulle part!» Bon. Il aurait pu me le dire; j'aurais jugé que c'était de bonne guerre. Reste que tout le monde devrait connaître ça, She & Him (c'est tellement bon).
Le jour du magasin de disques
Confidence: c'est rare que je trouve une galette de musique à mon goût au Musique Cité. Même scénario dans les grandes surfaces de notre ville qui, depuis quelque temps, semblent miser davantage sur les jeux vidéo et les poupées des vampires de Twilight que sur la musique pour obtenir un raisonnable pécule. J'ai donc pris l'habitude de commander les trucs que je veux vraiment. Ainsi, exit l'achat compulsif, et bonjour l'excès de commandes. À chacun ses vices.
Dernière commande: un LP intitulé True Love Cast Out All Evil, une collaboration entre Roky Erickson (un héros méconnu du rock; il fut le leader de la formation 13th Floor Elevators) et Okkervil River (l'un de mes groupes fétiches). Le disque doit sortir le 20 avril, mais je pourrai l'avoir le samedi 17 du même mois, car ce sera jour de fête (bruit de trompette carnavalesque et confettis).
En fait, ce sera le Record Store Day (www.recordstoreday.com), ou si vous voulez, le «jour du magasin de disques». Pour l'occasion, aucun défilé de majorettes ni congé férié, mais des dizaines de disques offerts en exclusivité aux mélomanes de la planète, car ce qui était un petit happening américain en 2008 est devenu mondial. Ça s'est répandu à la vitesse grand V, tel un clip de ti-minou cute sur YouTube (en voici un full cute).
Pour la liste complète des exclusivités et raretés offertes (beaucoup de trucs à mon goût là-dedans), visitez la page Facebook du Musique Cité… ou rendez visite à Sylvain au 169, King Ouest.
Au bord du précipice
Au Québec, ils sont huit magasins à participer au Record Store Day. Huit magasins, c'est plus que deux disques de Rufus (je vais en revenir un jour), mais ça reste peu. Dur, dur, l'indépendance pour les irréductibles disquaires de la province.
Il y a eu un super reportage sur le sujet à l'émission télé de Voir. Fait intéressant: tous les disquaires qui participaient au reportage vendaient du neuf et de l'usagé. Sur cet aspect, le Musique Cité se distingue, car on n'y trouve que de la nouveauté. Voici le reportage:
Mais cela risque de changer, m'indiquait Sylvain Lecours, car si les plaques tectoniques du monde du disque continuent de bouger comme elles le font présentement, c'est au fond d'un gouffre qu'on retrouvera le Musique Cité. Le rythme de décroissance est devenu insoutenable. Le propriétaire prévoit toucher le fond en 2011. Si ce scénario se concrétise, il commencerait à vendre de l'usagé (c'est mieux que des poupées) ou mettrait carrément la clé dans la porte.
Ainsi, je vois le Record Store Day comme une occasion de sonner l'alarme, de prendre conscience que ce magasin joue un rôle important à Sherbrooke (on y trouve tous les disques des formations locales), et qu'il risque de disparaître prochainement si on arrête de le fréquenter.
«Acheter, c'est voter», à ce qu'on dit. OK Sylvain. Commande-moi le disque de She & Him.