Tuer tous les hippies
Quand un individu ou un groupe convie les médias pour une annonce quelconque, il n'est pas dit que les journalistes vont se présenter. Parlez-en au noyau dur de l'organisation du Festival du texte court de Sherbrooke qui, il y a deux ans, n'avait réussi à attirer qu'une seule personne à sa conférence de presse: moi. Full intime ce fut. J'en garde un souvenir romanesque…
Cette année, je me rends donc au dévoilement de la programmation de la cinquième édition de ce festival avec une légère appréhension, car je n'aime pas les malaises. À mon grand étonnement, lorsque j'arrive aux abords du local où la conférence de presse a lieu, c'est la cohue. De toute évidence, je ne serai pas seul cette fois. Je me vois rassuré, mais légèrement dubitatif, car je croise un gars qui jongle avec des quilles, un unicycliste et d'autres jeunes gens desquels émanent des effluves de patchouli. Pas d'émeute à l'horizon, il s'agit d'un attroupement de sympathiques hippies (dont la prolifération est chose connue en territoire sherbrookois). Tel du crémage sur un gâteau éponge, ces joyeux troubadours comblent l'espace entre les quelques journalistes, caméramans et photographes qui ont répondu à l'appel.
Rapidement, on entre dans le vif du sujet. Sous le thème «Artères» (pour celles du cour ou de la ville), le Festival du texte court de Sherbrooke reprend du service du 27 au 30 mai, avec des événements littéraires misant sur le short and sweet. Il y a du slam (grande finale de la ligue locale le 27 mai à 19h30 au Tremplin), un 5 à 7 qui célèbre les éditions Six Brumes (le 28 mai à ArtFocus), une joute d'impro-poésie (le 28 mai à 20h au Club de boxe sur Wellington), une prise de parole qui fait gicler l'hémoglobine (le 28 mai à 22h à la boutique Sang % Gothik) et une création collective «multidisciplinaire et participative» (le 29 mai à 20h au Tremplin). Rendez-vous au festicourt.org si vous en voulez davantage.
Subvertir la normalité
Le point culminant de la conférence de presse fut sa finale. Sur scène, Sophie Jeukens, l'une des membres du noyau dur évoqué plus tôt, feint la crise cardiaque (thématique oblige) et se laisse choir sur le sol. À ce moment, c'est l'hécatombe. Tout le monde s'écroule, du gars qui sent la sueur à mes côtés jusqu'aux gentils figurants hippies qui traînaient dehors (il y en a une bonne cinquantaine). Seuls survivants: les représentants des médias (beaucoup moins nombreux que je pensais). Le silence règne ensuite. Un ange passe. J'ai droit à mon malaise.
Je ne suis pas dupe. Je sais bien qu'il y a là complot. Pas de mort aux rats dans la soupe de la clique, mais une belle mise en scène qui s'éternise. Après avoir compté dans ma tête un grand nombre de Mississippi, je décide de quitter les lieux, ne voulant pas connaître ce qu'il y a après la mort. Décision louable.
En sortant, je marche entre les corps à la manière de Rambo et j'ai une chanson du groupe Primal Scream en tête: «Destroy, kill all hippies. Anarchy! Disco sucks. Subvert normality.»
«Subvertir la normalité», les gens du Festival du texte court de Sherbrooke le font très bien. Ne se reconnaissant pas dans les événements littéraires existants, ils ont fondé le leur et celui-ci prend de l'ampleur, devient de plus en plus inclusif, quoique le tout demeure volontairement (et magnifiquement) marginal. À preuve: ce dude qui ressuscite avant les autres et qui commence à crier: «L'art est mort! L'art est mort!»
… Mais n'ayez crainte: l'art se cache sur une île avec Elvis et les autres.