Gratos, mais payant
Je me rappelle que lorsque j'étais disquaire, certains «clients» venaient hebdomadairement écouter plusieurs CD au magasin où je travaillais, mais ne repartaient avec aucun de ceux-ci. Lorsque je me trouvais derrière le poste d'écoute, je déballais leurs disques avec le sourire, sans rouspéter, même si je savais que j'allais les remballer deux minutes plus tard. Il s'agissait de mélomanes avec peu de moyens. Pour eux, aucune limite de deux CD à la fois, car j'étais des leurs.
Ces férus de culture, je les recroisais à la bibliothèque municipale avec un maximum de livres sous le bras, aux premières loges des concerts gratuits offerts à Sherbrooke (tout particulièrement en été), ainsi que lors des vernissages dans les différentes galeries d'art, à zieuter les ouvres tout en mangeant des crudités et en buvant du vin rouge dans un ti-verre de plastique.
Des Sherbrookois adhérant à ce profil, j'en croise encore. Ainsi, on a beau être sans le sou, il demeure possible de se cultiver de belle façon… et de se sustenter su'l bras. Que ceci serve de leçon à tous ceux qui justifient leur paresse intellectuelle en affirmant que la culture est un luxe qu'ils ne peuvent s'offrir.
Quelque chose d'une grande ville
Lundi dernier, je me suis rendu au parc Jacques-Cartier pour le concert en plein air de l'Orchestre symphonique de Sherbrooke (OSS). Pour la toute première fois, la Fête du lac des Nations se permettait une majestueuse préouverture, et à voir la quantité de mélomanes présents (de haut en bas de la verdoyante colline au devant de la scène, ça débordait de chaises pliantes), je suis prêt à parier un vieux deux dollars que l'événement reviendra l'an prochain. Quelques problèmes de son m'ont fait tiquer, mais ce fut tout de même une superbe soirée, une grande réussite. Le programme La Russie éclatante!, concocté par Stéphane Laforest, l'ultra sympathique (et compétent) chef d'orchestre de l'OSS, proposait un bel équilibre. On a eu droit à des airs connus de tous, ainsi qu'à quelques pièces davantage ténébreuses (normal, car les compositeurs russes n'avaient pas l'air de gens très jojos).
Ce concert, il était gratuit. À mon avis, c'est par ce genre d'événements rassembleurs et ouverts à tous que Sherbrooke a quelque chose d'une grande ville. Pour moi, cette démocratisation de la culture vaut beaucoup plus qu'un hôtel branché ou un centre de foire.
Je ne suis pas le seul à penser de la sorte. Je me souviens d'une allocution de Bernard Sévigny, maire de Sherbrooke et mon nouvel ami Facebook – ce qui prouve qu'il accepte vraiment n'importe qui -, lors de la conférence de presse des Concerts de la Cité. Il avait alors salué l'importance de cette série de spectacles offerts pour pas un rond au centre-ville de Sherbrooke. Je suis sûr qu'il en pense tout autant du «encore et (espérons-le) toujours» gratuit Festival des traditions du monde de Sherbrooke, du 11 au 15 août prochain.
Qualité de vie, sentiment d'appartenance, ouverture d'esprit, rapprochement des cultures, stimulation du tourisme… Quand on pense à long terme, le gratos, c'est payant.