Lundi avant-midi. Je prends mon café (j'ai une super machine) et j'écoute C'est bien meilleur le matin à la Première Chaîne de Radio-Canada. J'y entends Chantal Hébert, émérite chroniqueuse politique, s'entretenir avec René Homier-Roy. Au détour de la conversation, quelques paroles sont dites quant au projet de loi C-32. Hébert souligne que le sujet est complexe et ne croit pas que le Parti conservateur ait entendu (ou veuille entendre) le message des artistes venus manifester à Ottawa le 30 novembre dernier. Ce pessimisme m'ébranle un peu.
Il a pourtant résonné haut et fort le message de la colonie artistique; la mobilisation fut sans précédent. Si cette loi entrait en vigueur, c'est environ 75 millions de dollars qui ne seraient pas versés annuellement aux créateurs pour l'utilisation de leurs ouvres. Alors qu'on pouvait espérer d'Ottawa une réglementation adaptée aux avancées technologiques et à notre ère de piratage, le projet de loi C-32 laisse croire que les conservateurs plient l'échine devant l'industrie. D'ailleurs, toutes les grandes entreprises concernées (fournisseurs de services Internet, radiodiffuseurs…) ont applaudi le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, et celui de l'Industrie, Tony Clement, pour tant de générosité.
Bâtie par des artistes et de dignes politiciens canadiens au cours des dernières décennies, la maison du droit d'auteur semble être de paille. Le grand méchant loup retient son souffle, mais il s'apprête à tout détruire.
Trois hommes en colère
Lundi après-midi. Malgré la première bordée de neige, je prends la route pour Magog (j'ai une super bagnole), car Richard Séguin, Vincent Vallières et François Cousineau y ont convié les médias. Ces trois résidents des Cantons-de-l'Est tiennent un point de presse à l'égard du projet de loi C-32. J'en comprends qu'ils partagent le pessimisme de Chantal Hébert. Le message se doit donc d'être répété, clarifié, mais surtout, il doit se rendre jusqu'aux oreilles des députés fédéraux de la région, et tout particulièrement de ceux du Parti libéral, qui tarde à embrasser la noble cause des artistes. Face à de minoritaires conservateurs, l'opposition devrait se préparer à faire front commun contre ce projet de loi qui favorise Goliath tout en désarmant David.
Aligné devant les journalistes, le trio d'artistes des Cantons a la mine basse. Il ne s'explique pas pourquoi Ottawa met la hache dans le principe de la copie privée, un régime qui marchait du temps de la casette et du CD vierge, au lieu de tout simplement l'ajuster aux iPod et autres bidules du genre. «Ce n'est pas une taxe comme l'affirme M. Moore, c'est plutôt une juste compensation versée aux auteurs, aux compositeurs et aux artistes pour les copies faites de leurs ouvres», s'indigne Vincent Vallières. La consternation est la même devant la déresponsabilisation des fournisseurs de services Internet, le passe-droit accordé au milieu de l'éducation et toutes les exceptions du projet de loi C-32 qui relèguent les droits des créateurs aux oubliettes.
L'affaire de tous
J'espère que le cri du cour des Séguin, Vallières et Cousineau sera entendu de la bonne manière et par les bonnes personnes, car il y a réellement péril en la demeure. Bafouer les droits de nos artistes, c'est limiter l'accès à notre culture. D'ailleurs, c'est toute la société qui devrait monter aux barricades.
Si vous décidez de vous rendre à Ottawa pour manifester, je peux fournir une (super) bagnole et du (super) café.
Bonjour, voici une lettre ouverte que j’ai rédigée et qui circule en ce moment sur facebook, dans laquelle je demande, comme vous le souhaitez aussi, qu’une date nous soit donnée par les associations pour que tout le monde, artistes ou amoureux de culture, puisse manifester contre ce projet de loi. Vous la trouverez plus bas et sur facebook à la page: http://www.facebook.com/mathieubellemare.musique
Merci de la partager. Sachez que je serais heureux si vous pouviez la publier où que ce soit.
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Appel à la mobilisation générale contre le projet de loi C-32 – Lettre ouverte
Le 30 novembre dernier, une délégation d’une soixantaine d’artistes de métier s’est rendue sur la colline parlementaire d’Ottawa pour signifier son désaccord avec le projet de loi C-32. Rappelons que ce projet devait normalement actualiser le droit d’auteur, le mettant ainsi en phase avec l’environnement numérique du XXIe siècle. Toutefois, plutôt que d’aider les créateurs, il s’affaire à laisser dans les poches des fournisseurs d’internet et des fabricants de Ipod tous les profits générés par la libre distribution de produits culturels et artistiques. Les créateurs se sentent lésés, et avec raison. Robert Charlebois, Luc Plamondon, Marie-Denise Pelletier, Louise Forestier, Pierre Lapointe, Ariane Moffat, Richard Séguin et de nombreux autres étaient donc là, tentant de rallier à leur cause un maximum de députés libéraux, espérant ainsi faire pencher la balance et bloquer le projet du gouvernement Harper.
Puis, soudain, ça me frappe.
Mais où sont les Bryan Adams, Diana Krall, Sarah McLachlan, Michael Bublé, Shania Twain, Joni Mitchell, Alanis Morissette, Neil Young, Holly Cole, Amanda Marshall et Loreena McKennitt ?
Sommes-nous seuls, Québécois, à faire de la politique au Canada? À nous inquiéter du sort de nos créateurs? Très honnêtement, personne n’arriverait à me le faire croire. Il y a certainement beaucoup de réactions d’indignation du côté du Canada anglais, même si on en parle peu dans nos médias. Alors pourquoi ne pas nous unir et nous donner rendez-vous?
Peut-être ne suis-je qu’un idéaliste, mais j’ose espérer que si nous n’avons peut-être pas les mêmes points de vue sur la question nationale, la solidarité entre créateurs reste possible. Personnellement, en tant qu’artiste de la relève, je serais tout aussi peiné de voir un créateur anglophone que francophone forcé d’abandonner son métier parce qu’il se voit privé de ses revenus par un gouvernement culturellement irresponsable et insouciant. Je suis d’ailleurs certain que nombre d’artistes seront d’accord avec moi : tout art et toute culture doivent être protégés à tout prix. Un artiste qui cesse de créer est un appauvrissement culturel pour tous, une victoire du vide, et aucun créateur sérieux ne peut l’accepter, peu importe de quel côté d’une frontière il se trouve. Je crois donc qu’il serait bon cette fois de ne pas tenter de faire cavalier seul, chacun de notre côté : nous avons tout à gagner à accorder nos voix. Et tant qu’on y est, je sais que nombre d’artistes de la relève ou simples amoureux de la culture se joindraient volontiers à nos porte-étendards pour faire front commun. Alors qu’une date nous soit donnée pour manifester et nous pourrions être des milliers.
J’aimerais aussi en profiter pour répondre à Nathalie Petrowski qui, dans la Presse du 1er décembre dernier, se disait toujours heureuse « de voir des artistes (…) quitter le confort de leur studio ou de leur limo pour descendre dans la rue au nom de leurs droits ». Sachez Mme Petrowski que cela ne ressemble probablement même pas à la réalité des artistes dont vous parlez (il faut cesser de se leurrer) et pas du tout à ce que vivent la majorité des artistes qui seront affectés par ce projet de loi. Le fait est que nous sommes des milliers de créateurs à travers le pays à devoir cumuler les petits emplois pour arriver simplement à survivre alors même que le temps que nous avons à consacrer à nos projets artistiques diminue, frôlant parfois le néant. Quand on sait que la moyenne des salaires annuels des artistes canadiens ressemble dangereusement au seuil de pauvreté national, on comprend que les quelques musiciens qui se sont rendus à Ottawa le 30 novembre dernier ne se battent pas uniquement pour leurs propres droits : ils se battent aussi au nom de milliers de créateurs dont la simple ambition n’est pas de se promener en limousine mais bien d’arriver à vivre humblement de leur métier.
Et pour ce qui est de s’attaquer « à un projet de loi fédéral qui n’est pas coulé dans le béton mais presque (…) demandant une transformation radicale des mentalités (…) des fabricants d’iPod et de MP3 comme celle des fournisseurs de services internet » sachez, Mme Petrowski, que vous prenez le problème à l’envers. Nous n’espérons pas faire changer les mentalités des entreprises privées puis ensuite les lois : nous demandons à notre gouvernement de modifier les lois auxquelles sont justement assujetties ces « mentalités ». Il en va de la santé de nos milieux culturels et c’est tout à fait légitime.
Toujours avec le même sarcasme, vous dites que nous voulons « convaincre le gouvernement conservateur de sévir contre ses alliés de l’entreprise privée en les obligeant à partager avec les artistes les profits faramineux qu’ils font grâce au téléchargement ». Hé bien oui, c’est ce que nous demandons. Et, rendu à ce point, je vous le demande, croyez-vous réellement que nous devrions nous taire? Personnellement, je trouve misérable d’entendre dans vos propos un tel appel à la soumission quand nous savons tous très bien que c’est un combat contre le lobbying et les pots de vin qui se présente à nous et qu’il est, ne serait-ce que pour cette raison, encore plus nécessaire de le mener. Car oui, j’ose croire que les lois sont encore dictées par nos gouvernements et que ceux-ci sont toujours là pour nous représenter, nous, le peuple. Et si cela n’est plus, comme vous semblez le croire, alors il n’est pas du tout le temps de baisser les bras et de se complaire dans le sarcasme, mais justement celui de se retrousser les manches et d’exiger que les choses changent.
Il est vrai qu’il y a déjà un certain temps que le gouvernement Harper semble avoir déclaré la guerre à tous les milieux culturels. Et c’est justement pourquoi il est grand temps que nous nous levions ensemble pour lui répondre. Nous devons considérer cette délégation du 30 novembre comme un premier pas, mais il faut bien comprendre que nos ambassadeurs, ayant été accueillis avec froideur par nos élus, ont maintenant besoin de renforts. Il faut prendre conscience aussi que ce projet de loi met en péril toutes les formes d’art, qu’il concerne tous les secteurs de création et tous les artistes d’aujourd’hui et de demain. Nous nous devons donc de réagir : amoureux de la culture, écrivains, musiciens, artistes professionnels et de la relève, francophones et anglophones, rejoignons-nous et unissons nos voix! La prochaine fois, soyons des milliers à marcher derrière nos porte-étendards et à nous faire entendre. Faisons comprendre au gouvernement que ce projet de loi ne nuit pas uniquement à une poignée de musiciens, mais à tout un peuple de créateurs et que nous ne resterons pas les bras croisés alors même qu’on nous scie les jambes.
Personnellement, j’attends que le clairon sonne, qu’une date soit donnée pour une grande manifestation, et, comme des milliers d’autres j’en suis certain, je répondrai à l’appel de mes confrères et consoeurs.
Mathieu Bellemare
http://www.mathieubellemare.com
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Note Biographique: Mathieu Bellemare est détenteur d’une maîtrise en composition musicale de l’Université de Montréal et est un auteur-compositeur-interprète ayant participé en 2010 au Festival de la chanson de Granby et au Festival indépendant de musique Diapason.