L’écho des Cantons

Tous les coups sont permis

Dimanche dernier. En me rendant à ma voiture, je constate qu'une feuille de couleur fluo a été glissée sous mon essuie-glace. Il ne s'agit pas d'une lettre d'amour ou de menaces, mais d'un «outil de rappel» distribué par les travailleurs de la rôtisserie sherbrookoise Au roi du coq rôti qui «célébraient» récemment leur troisième année de lock-out. Il y a là une photo sur laquelle plein de messieurs portant des t-shirts assortis (avec un ti-poulet pas content sur le devant) font des thumbs-up, comme pour souligner qu'ils ont encore le moral, qu'ils tiennent le coup.

Je les encourage à ne pas lâcher car la cause est louable… et parce que j'ai hâte de manger leur ti-poulet (content ou pas).

Lucidité et absurdités

Une fois assis dans l'auto (encore dimanche dernier), j'ai droit à un de mes rares moments de lucidité: oh my god, c'est à partir d'aujourd'hui que les cols bleus de Sherbrooke sont en grève! D'autres pancartes allaient commencer à se faire voir. Cette fois, pas de ti-poulet fâché, mais des photos trafiquées des têtes de Turc favorites des cols bleus: le conseiller municipal Serge Paquin (en Mad Dog Vachon) et le maire Bernard Sévigny (en Adolf Hitler).

J'hésite deux secondes avant de tourner la clé dans le contact, mais j'ose, car la Ville a tellement bien joué ses cartes devant le Conseil des services essentiels que le citoyen que je suis n'y verra que du feu. Sherbrooke ne me fournira plus ma dose quotidienne de loisirs pour une période indéterminée? Je vais survivre (et vous aussi). D'ailleurs, considérant le contexte, je suggère à ceux qui se disent pris en otage par les grévistes d'envisager le syndrome de Stockholm.

Cette situation a donné lieu à une belle absurdité. Puisque 84% des cols bleus continuent d'accomplir les tâches essentielles au bon fonctionnement de la Ville, nos dirigeants jugent que la grève est désormais inadmissible. Dans sa forme actuelle, elle aurait trop peu de répercussions. Trop, c'est comme pas assez?

Il est facile de comprendre le jeu de coulisses que tente la Ville devant la Cour supérieure du Québec (un syndicat qui ne pige pas suffisamment dans son fonds de grève ne se retrouvera pas de sitôt acculé au pied du mur), mais il y a tout de même là une certaine ironie.

L'autre absurdité dans cette négociation réside dans les recours successifs au juridique. Alors que la Ville affirme ne plus pouvoir délier les cordons de sa bourse, elle fait appel à des avocats pour négocier et tenter de régler le conflit à sa place (ou presque). «Justice: une affaire de riches?», titrait L'Actualité dans un récent numéro… Je trouve qu'il y a là un double discours de la part de nos élus.

Mais bon… tous les coups sont permis lorsqu'il y a de la chicane. Même parfois en dessous de la ceinture. Un bon exemple: vouloir retenir la paye des employés en vacances pendant la grève. Mais la Ville est ensuite revenue sur sa décision. On appelle ça une feinte? Mettons ça sur le dos de l'émotion.

Dommages collatéraux

«Le pire dans tout ça, c'est que les Expos de Sherbrooke sont obligés d'aller jouer à Thetford Mines», badinait un collègue, adepte de baseball à ses heures. Là aussi, Ron Fournier et ses disciples vont s'en remettre.

Ceux qui risquent de ne pas s'en remettre, ce sont nos élus. En tête de liste, on trouve le maire Sévigny qui (selon la conseillère municipale Nathalie Goguen, via son compte Twitter) serait parti en vacances à un bien mauvais moment cet été… On dit souvent que les électeurs ont la mémoire courte, mais si ce conflit s'étire, il pourrait avoir un effet sur le vote aux prochaines élections. Trois ans, c'est vite passé! Parlez-en aux travailleurs du Roi du coq rôti.

C'est dans l'adversité qu'on peut juger de l'étoffe de nos leaders. Or, présentement, je les trouve plus émotifs (et vacanciers) que rationnels (et proactifs).