Après plus de trois ans de conflit, Le Roi du coq rôti a rouvert ses portes lundi dernier. Porté par une nostalgie à saveur de BBQ, je me suis ramassé une boîte au comptoir. Même si on peut reprocher bien des choses au patronat de cette petite entreprise, je réserve mon boycott à des multinationales qui le méritent davantage. «Un quart de cuisse, svp.»
Comme (presque) tous les Sherbrookois, ça faisait longtemps que je n’avais pas mangé du Coq. Oui, j’ai trempé les frites molles dans la sauce. Non, je n’ai pas omis de dévorer la peau.
Personnellement, mon dernier petit poulet provenant de la rôtisserie de la rue Camirand remontait à bien avant le début du lock-out de 2008. Je devais avoir 11 ou 12 ans.
Étrangement, les boîtes molles en carton du Roi du coq rôti ont meublé mon primaire. J’allais à l’école Sacré-Cœur sur Alexandre, et de la cour, on voyait le Coq. Parfois, en pleine partie de ballon-chasseur, ça pouvait sentir le Coq.
«Qu’est-ce que ça sentait?» me demande-t-on. Pour un gamin qui a faim, le Coq, ça sent la bouffe de sa mère, le jour de sa fête.
Quand une journée spéciale le permettait, il arrivait que l’enseignante commande le lunch pour toute la classe, et chaque fois, c’était du Coq. Le livreur arrivait avec une trentaine de boîtes de poulet – on l’accueillait en héros -, et repartait avec la cagnotte collectée précédemment aux parents. Pas sûr que Jamie Oliver et les autres pourfendeurs de la malbouffe auraient autorisé la transaction, mais personne ne rouspétait. Le bonheur était dans la sauce brune.
Je ne sais pas si les enseignantes commandent encore du petit poulet pour leurs élèves, mais elles doivent savoir que les choses ne sont plus comme avant.
Non seulement il n’y a plus de livreurs chez Le Roi du coq rôti, mais un repas de petits poulets entre générations ouvre désormais la porte à un sain questionnement éducatif.
«Les enfants, quand vous serez grands, voulez-vous être patron ou employé?», «À votre avis, est-ce qu’un employé a des droits?», «Savez-vous ce qu’est un syndicat?», «Et qu’est-ce que signifie la précarité d’emploi?»… Imaginez le débat et les petites mains graisseuses qui s’agitent pour répondre.
Même si on peut se nettoyer les doigts avec la petite serviette humide, un long conflit laisse toujours des traces.
Ouais un conflit laisse toujours des traces, mais les traces, elles se trouvaient devant le restaurant et devant le comptoir. Des traces de pas, des milliers. C’était noir de monde qui voulait repartir avec son petit poulet et sa petite boîte… Qui va boycotter cette institution?