L’écho des Cantons

Laisser sa trace

Est-il encore possible pour quelqu’un de ma génération (un pied dans la X, l’autre dans la Y) de vivre vieux (optionnellement heureux et en santé, mais là n’est pas la question) et de disparaître (le temps venu) sans laisser de traces?

Le questionnement provient d’une lecture du moment, le roman La revanche de Pythagore: le secret du maître de Samos (récemment traduit en français par les éditions Dunod). L’auteur, Arturo Sangalli, est un mathématicien connu en région pour avoir fait partie du corps professoral du Collège Champlain de Sherbrooke (il est à la retraite depuis peu), mais aussi pour avoir rédigé L’éloge du flou, un livre au fort joli titre qui décline l’ABC du «calcul souple», et pour lequel il a reçu plusieurs accolades de pairs.

Dans les premières pages de son roman, une enquête qui carbure aux mathématiques (pensez au Da Vinci Code, mais avec de véritables casse-têtes), Sangalli résume la vie de celui qui fut une «rock star» de la Grèce antique, Pythagore. Ce dernier a beau avoir brillamment hissé les mathématiques au rang de sciences, il était aussi le guide spirituel d’une influente secte. Lui et ses disciples chérissaient les nombres, mais ils croyaient également en quelques aberrations, dont la vie après la mort par la transmigration de l’âme dans le corps d’un animal. Mais il faut sûrement en prendre et en laisser, car plusieurs légendes et suppositions concernent Pythagore. La principale raison: il n’a laissé aucun écrit.

Et le roman, joliment construit, démarre avec l’hypothèse inverse: et si Pythagore avait laissé un manuscrit quelque part?

J’ai l’impression que malgré toutes les précautions du monde, ce genre de mystère ne peut pas exister de nos jours. La principale raison: Google.

À moins d’habiter dans une caverne, même une personne encline à la discrétion ne peut pas y échapper. Tout le monde a son nom d’écrit quelque part, avec quelques infos à son sujet. Appelons ça une néofatalité.

Mais il y en a qui sont davantage victimes de notre époque. Je pense à ces adolescents de Chicago qui se sont filmés alors qu’ils tabassaient cruellement un autre jeune pour ensuite diffuser l’«exploit» sur YouTube, ou à ce conducteur frondeur de Laval qui commentait, cellulaire en main, ses omissions au Code de la route à quelques mètres d’une auto-patrouille; lui aussi a mis son clip sur le Net, voyant là une source de fierté.

La semaine dernière, ces deux vidéos se sont retrouvées aux nouvelles, mais le Web regorge de ce genre de conneries. Conneries de jeunesse, mais conneries qui restent.

Tant qu’à laisser des traces malgré nous, tentons au moins de limiter les dégâts.