Trentaine 101
De toute ma vie, mes parents ne m’ont offert que deux livres en cadeau: Le Livre des records Guinness 1987 pour mes 10 ans et Passages de Gail Sheehy pour mes 18 ans…
Parlons plutôt du second.
Depuis sa sortie au milieu des années 70, Passages s’est écoulé à des millions d’exemplaires. Cela s’explique. Ce monument de la psycho pop, qui traite des "crises prévisibles de l’âge adulte", est apparu au moment même où les baby-boomers entamaient le virage le plus périlleux de leur existence: la trentaine.
En 1975, les premiers boomers avaient 30 ans. Un âge de changements de cap, de remises en question, de rénovations intérieures. Un âge où l’on enterre les idéaux de la vingtaine. Un âge où l’on divorce, où l’on réoriente sa carrière, où l’on s’achète un pavillon de banlieue.
"C’est seulement au début de la trentaine que l’on commence à s’installer pleinement dans l’existence", écrivait Gail Sheehy dans son célèbre bouquin.
Bref, en feuilletant les pages de Passages pendant le temps de Fêtes, j’ai soudainement compris pourquoi la trentaine était un thème récurrent dans nos séries télé.
C’est qu’il y a dans cette crise prévisible tous les ingrédients d’un bon récit.
Démonstration. L’imminence de la trentaine, c’est l’élément déclencheur. Le point tournant d’une vie. Après quoi, place aux péripéties: questionnements, agitations, épreuves. Autant d’aléas qui finissent par déboucher sur l’élément de résolution, prélude à la situation finale: le restant plus calme de l’existence…
La trentaine, c’est un drame complet. Avec un début, un milieu et une fin.
La série la plus attendue de l’hiver, la suite des Invincibles, est en tout point conforme au récit de la trentaine. En lisant certains passages de Passages tout en regardant Les Invincibles, on a même l’impression d’écouter la trentaine gémir en stéréo. Que l’on présente un jour Les Invincibles dans les cours de psychologie ne m’étonnerait pas du tout. Cette série, c’est un cours de trentaine 101.
Tout à fait.
D’abord, on reconnaît bien les différents types d’hommes identifiés par Gail Sheehy dans la psychologie de nos quatre Invincibles.
Steve (Patrice Robitaille), ce bisexuel dépressif, est clairement un homme transitoire "qui prolonge les expériences de sa jeunesse". Rémi (Rémi-Pierre Paquin), qui rêve toujours que sa carrière musicale décolle, a des traits de l’enfant prodige "persuadé que son insécurité disparaîtra quand il arrivera au sommet". P.A. (François Létourneau) a clairement le profil de l’éternel adolescent, incapable de quitter le nid familial. Et Carlos (Pierre-François Legendre) était jusqu’à récemment un homme pris au piège. Ce piège ayant pour nom Lyne-la-pas-fine.
Lorsque nous avons laissé ces Invincibles à la fin de la première saison, ils avaient tous connu leur lot plus ou moins glorieux de péripéties. Conformément au récit prévisible de la trentaine, nous en serions donc à l’élément de résolution. Et c’est ce que semble aborder la seconde saison des Invincibles.
Carlos, de retour d’un énigmatique voyage d’un bout à l’autre du Canada, propose à ses copains un "rallye du bonheur". Un nouveau jeu où les quatre amis devront se serrer les coudes pour régler leurs bibittes et atteindre un certain bien-être.
Et nous voilà en selle pour mille questionnements identitaires, sport favori du trentenaire. Qui suis-je? Où vais-je? Que peux-je?
Nos Invincibles trouveront-ils le bonheur au bout de ce rallye? On le saura peut-être à la fin de cette nouvelle saison qui s’annonce déjà plus sensible et moins fertile en trips de cul que la précédente.
Et après? Les deux auteurs des Invincibles n’ont pas encore d’idées pour une troisième saison. Je les comprends. Car si le "rallye du bonheur" proposé par Carlos va bon train, nos lurons risquent d’avoir passé le périlleux cap de la trentaine à la fin de cette seconde série.
Alors, que restera-t-il à raconter?
Une autre crise existentielle peut-être? Si je me fie au livre de Gail Sheehy, celle qui suit la trentaine est la crise des 35 ans. Un âge où l’on cherche à atteindre des sommets avant qu’il ne soit trop tard. L’âge de la dernière chance.
Les Invincibles, à Radio-Canada dès le lundi 8 janvier, 21h.
TÉLÉ
ARTV diffuse la première saison d’une autre série de trentenaires qui a marqué la télé américaine il y a deux décennies: Thirtysomething (La Trentaine). Anecdote: Stéphane Bourguignon s’est inspiré de cette série pour écrire La Vie la vie. La Trentaine, à ARTV, les vendredis à 21h30.