Blanc Manger, c’est le meilleur nouveau projet musical québécois de l’été… dont personne n’a entendu parler, ou presque. Beats trop funky, grosses lignes de basse, mélodies contagieuses, échantillonnages et références musicales d’une rare richesse. Qui aurait cru que Richard Desjardins ou la toune Les Boys d’Éric Lapointe auraient pu servir à créer un renouveau discoïde au Québec?
Modern funk
Le son est à la mode. C’est très chaud. Modern funk, smooth jazz, R&B… ce sont certains des filons exploités notamment par le duo de DJ et producteur de Voyage Funktastique, autant avec les pépites qu’ils excavent que les talents bruts qu’ils dénichent à l’international et couchent sur 45 tours. Ce sont aussi des sons qu’on retrouve chez Qualité Motel/Valaire, Les Louanges et Choses Sauvages. On se rapproche même du néo-Tropicalia de Guts et de ses compiles Beach Diggin’.
L’archive vivante
Mais l’oreille est sensible. Elle reconnaît des sons. Une familiarité s’installe. Puis le confort est total. Et bien qu’on pourrait penser que cette matière première musicale serait éteinte, puisque couchée sur vinyle et parfois poussiéreuse, l’artiste prouve le contraire. Blanc Manger insuffle une vie flamboyante à ses inspirations.
«J’ai toujours aimé les références world de Richard Desjardins», me dit Jean-Philippe Loignon, l’homme derrière ce projet. Je suis ses projets musicaux depuis Les Robots de la rime et L’Agorythme. Il est batteur de nature, mais touche à une variété d’instruments aussi. J’acquiesce à sa déclaration sur Desjardins, puis j’y pense… Les références world de Desjardins? Je réécoute quelques-unes des chansons du p’tit gars de Noranda. Chaude était la nuit se déroule bel et bien sur un rythme percussif qui a quelque chose d’africain. Plusieurs autres de ses pièces proposent des références aux cultures arabes, maghrébines et musulmanes. Les influences rythmiques d’Amérique latine, là où il a si souvent voyagé, s’entendent ici et là. Puis y a la première version de Y va toujours y avoir, parue sur Boomtown Café, qui se donne sur un p’tit rythme reggae. Bonyenne.
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Ananas coulant
Je me considérais comme un fan de Desjardins. Je l’ai interviewé maintes fois avec le sentiment d’être privilégié. Mais je ne m’étais jamais arrêté à cet aspect de son œuvre. Loignon, lui, l’a entendu. Je pogne de quoi.
Les paroles «Ananas oh ananas coulant/Je suis si bien ici/Ici et maintenant contenté contenté», entendues sur Chaude était la nuit, prennent vie sous un tout autre angle chez Blanc Manger. «Abitibi, idylle sexy/Ça fait mauvais ménage quand je pars en voyage/Je rêvais Africa/Passant au-dessus du Bénin, je pensais Richard Desjardins. Chaude était la nuit, j’me suis dit… Fela Kuti/En quittant le Nigeria, je pensais Rouyn-Noranda/Ananas oh ananas coulant/Je suis si bien ici maintenant».
Lapointe, Ferland, Valiquette, alouette!
Oui, le fier Témiscabitibien que je suis est une coche trop enthousiaste de constater cette série de références régionales. Mais mon buzz transcende le chauvinisme primaire. Cette évocation de lieux foncièrement québécois placés en contraste avec des pays d’Afrique, les paroles d’un classique comme Chaude était la nuit trafiquées pour prendre vie sur un rythme aussi groovy, à la fois actuel et intemporel… ça élève la qualité de ce projet à un niveau supérieur.
Si ce n’était que de ça, je recevrais volontiers les pointes qu’on m’envoie souvent en me reprochant d’être régionaliste. Mais non. Avec le même procédé, dans le domaine québécois, on retrouve aussi sur cet album des twists qui empruntent à Éric Lapointe, Pauline Julien, Jean-Pierre Ferland, Gilles Valiquette, Les Colocs, Martine St-Clair. Prince, Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot.
L’album est disponible sur bandcamp et devrait atterrir sur Spotify bientôt. Loignon est occupé à dédouaner les échantillonnages présents sur l’album pour pouvoir placer le tout sur la plateforme musicale en continu de manière conforme.
Une version spectacle de l’album est prête à être livrée. Si Dieu existe, une maison de disques viendra recruter Blanc Manger au vol pour lui donner la poussée qui manque afin que la francophonie le découvre.
Bref, Blanc Manger, c’est du maudit bon neu’ avec du vieux.