Des feux mal éteints
Don Quichotte a la couenne dure. Voilà plus de 400 ans que le chevalier errant, ce fou magnifique, émeut les lecteurs de partout. Grande silhouette flanquée du rondouillard Sancho, antihéros engagé dans des aventures qui se jouent surtout entre ses deux oreilles.
Les Éditions de la Bagnole et Soulières éditeur, deux maisons québécoises où on ne prend pas les enfants pour des pauvres d'esprit, viennent de publier Les Aventures de Don Quichotte, une version condensée et illustrée du roman de Cervantès (notre critique en section Livres). Une belle façon de découvrir le fascinant personnage, ses combats contre des géants hallucinés et autres luttes au nom de la justice et de l'amour.
On trouve évidemment, dès les premières pages, ce segment où les amis de Don Quichotte (sa gouvernante, sa nièce, mais aussi le barbier et le curé du village) brûlent ses livres pendant que le fantasque chevalier roupille. S'il est devenu fou, se disent-ils, c'est sûrement qu'il a passé trop de nuits à lire des histoires de chevalerie.
Il y a dans cette scène un symbole fort, celui d'une rupture avec la littérature passée, remplie de héros grandiloquents et de princesses-bibelots, au cour même d'un livre qui allait réinventer l'écriture romanesque.
Mais il y a d'abord, dans cette scène, le fameux problème de la littérature vue comme responsable de tous les maux et de toutes les dérives psychiques.
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En relisant cet épisode de l'autodafé, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui est arrivé la semaine dernière à ma collègue et amie Marie Hélène Poitras.
Marie Hélène, jeune romancière confirmée, a publié ces derniers mois une série jeunesse intitulée Rock & Rose, dans la très chouette collection "Epizzod" des éditions La courte échelle. Une série applaudie, dans laquelle elle met en scène deux ados de 16 ans qui vivent chacune à sa manière la saison des premières fois.
La voilà donc invitée au 3e Salon du livre de Sudbury, Ontario, le genre d'invitation qu'elle reçoit à longueur d'année. Jusqu'ici, tout va bien. Marie Hélène arrive là-bas enthousiaste, heureuse comme d'habitude d'aller à la rencontre de ses lecteurs.
Le hic, c'est que lesdits lecteurs sont parfaitement absents du premier atelier-rencontre planifié par le salon. Absents comme dans zéro, pas un chat.
Marie Hélène ne se démonte pas, elle connaît les salons du livre et sait que les rendez-vous y ont toujours quelque chose de fragile.
Ça commence à la chicoter pour vrai, en fait, quand au terme de deux jours passés là-bas, elle n'a toujours vu personne aux ateliers qu'elle devait animer. Pas la peine de vous dire que pour une auteure bénéficiant de beaucoup d'attention médiatique, l'affaire n'est pas normale.
Elle commence à s'interroger, à poser des questions, pour découvrir, sans jeu de mots, le pot aux roses: considérant ses écrits destinés aux ados inappropriés pour les étudiants de la région, le Conseil catholique du Grand Sudbury aurait empêché la circulation de ses plaquettes dans les écoles du coin et recommandé que Marie Hélène Poitras n'y soit pas invitée. Ce qui souvent va de pair avec le passage d'une telle auteure jeunesse.
En d'autres mots, le canal par lequel les jeunes lecteurs de Sudbury auraient pu connaître l'auteure de Rock & Rose a été coupé, au nom des bonnes mours!
Vous avez bien lu, et puisque je vous vois déjà jeter un coup d'oil à votre calendrier, je vous le confirme: nous sommes bien en mai 2010.
Marie Hélène se pince encore. Elle aborde en effet les thèmes de la drogue et du sexe, considérant avec raison ces sujets incontournables, mais toujours avec un tact partout souligné. "Ce n'est quand même pas aux 9-10 ans que je m'adresse, me disait-elle en début de semaine, mais bien aux 15-16 ans!"
Peut-on parler de censure? Le terme serait sans doute exagéré, mais il s'agit bien d'une forme de mise à l'index. Et surtout de déni. À moins que les ados de Sudbury évoluent différemment des autres ados d'Occident, boivent de la limonade et se gardent bien de tout contact charnel avant le mariage…
Il faudra passer le mot à Julie Gosselin, qui vient de publier Zone floue, un roman pour ados qui traite d'amours lesbiennes. Qu'elle sache à quoi s'en tenir si on l'invite dans le bout de Sudbury.
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Je me demande bien ce qu'aurait pensé le Conseil catholique du Grand Sudbury de notre une Dave St-Pierre (et de son complément visuel intérieur). Ici en tout cas, nous en avons entendu beaucoup de bien. Merci.
Cette semaine dans Voir, l'humoriste français – et un peu québécois – Gad Elmaleh, un dossier sur Twitter et son emploi dans le secteur culturel, une entrevue avec James Murphy de LCD Soundsystem et le début de notre couverture du très relevé Festival TransAmériques 2010 (FTA), ainsi que de sa belle excroissance, le OFFTA.
Rock & Rose, de Marie Hélène Poitras, éd. La courte échelle, 2009.
Zone floue, de Julie Gosselin, Éd. de la Paix, 2010, 195 p.
Ce genre de « holà, attention aux moeurs de nos jeunes » peut avoir l’effet inverse et donner le goût à bien des jeunes d’y mettre le nez. S’ils savaient, ce grand Conseil Catholique c’est la meilleure pub qui soit. Par contre, sur le coup, c’est plutôt offensant pour une auteure invité !!!
C’est assez extraterrestre comme comportement, j’en suis encore sidérée. Je pensais que nous étions plus sur la même planète que nos jeunes, qu’ils soient de Sudbury ou d’ailleurs. Ils auraient avantage à aller passer quelques journées en leur compagnie. Enfiler leurs meilleures godasses et traverser le pont des générations, plus long que le Pont de la Confédération dans leur cas !
J’ai souvent retourné Rock & Rose entre mes mains dans le but non avoué d’en lire un et le but avoué de l’offrir à ma filleule, eh bien, la prochaine fois, c’est dans la poche … euh, sacoche !
Je sais, tout ceci est assez invraisemblable. Et pourtant.
Au fait, j’invite tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à lire la chronique de Josée Legault. Nous ne nous étions pas consultés, mais il y a un lien étonnant entre nos deux colonnes.
Le religieux a décidément le nez partout actuellement, du côté du ROC à tout le moins.
Il est à noter que la première ligne du livre commence par -je ne veux pas me souvenir. Paradoxale, non, pour nous autres québécois, qui voulons connaître l’histoire tant falsifiée? Pour bien faire, je devrais plutôt vous recopier la phrase en entier : «Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse. »
Et comment ne pas voir dans ce livre autrement qu’une comédie tragique? Tout en insistant sur le fait que cette œuvre de 1000 pages pourrait facilement être tronquée de sa moitié et servir le lecteur.
Du point de vue de la morale, la pensée de Cervantès date. Le contexte du récit se situe dans un environnement de guerres et de haines qu’attise la religion, en l’occurrence catholique. Je ne donnerai pas d’exemples pour la gêne qu’ils provoqueraient. C’était autrefois, mais on voit que de telles mentalités couvent toujours au sein de notre civilisation.
En ce qui concerne Don Quichotte lui-même, je ne voudrais pas savoir qu’un tel fou existe dans mon quartier. Je le crois tout aussi dangereux que ceux qui brûlent les livres, ou davantage. Rien non plus d’intéressant, sinon amusant -quand Cervantès ne devient pas lourd-, dans ses descriptions du peuple et des braves gens, dans leurs rapports. À la lecture de ce roman, je comprends pourquoi on parle d’évolution à propos de l’homme, malgré le déclin de la mémoire. Pour conclure, Je dirais que c’est un livre distrayant, d’une très belle écriture, avec des pages magnifiques. Mais, bon, j’ai lu ça autrefois et je ne suis pas un expert, je vous écris simplement mes premières impressions à la suite de votre billet.