Retour vers le futur
Mots croisés

Retour vers le futur

Sans doute fallait-il s'y attendre.

À l'ère de la fibre optique, de la télé 3D, de la commande vocale et de cette fameuse tablette dont nous tairons le nom pour ne pas contribuer à l'invraisemblable publicité gratuite dont elle bénéficie, sans doute ne faut-il pas s'étonner outre mesure d'assister à une soif galopante de vintage, d'unplugged, de bon vieux temps.

Des exemples? Le calendrier culturel en est plein.

L'un des clous de la programmation du prochain Festival Juste pour rire, L'Avare de Molière mis en scène par Serge Postigo, sera présenté dans un Monument-National entièrement éclairé… à la chandelle! Elles seront en effet 2000 à brûler chaque soir au-dessus des planches pour cette mouture que l'on souhaite aussi authentique que possible des déboires du chiche Harpagon (à lire: l'entrevue que nous a accordée Luc Guérin, qui incarnera l'insupportable personnage apparu en 1668).

Deux mille chandelles. Il fallait y tenir à l'authenticité. Quand on sait que l'intégration de la moindre flammèche à un dispositif scénique exige un permis des autorités municipales, on peut imaginer la difficulté de l'entreprise.

Dans la grande famille de l'authentique, on compte aussi la fête foraine Carnivàle Lune Bleue, présentée à Bromont à compter de la mi-juin et qui plongera le visiteur dans l'ambiance des grandes foires d'antan.

Au menu: une diseuse de bonne aventure, des tatoués de la tête aux pieds, des hommes forts et même un type qui se plante un clou à charpente dans le nez. Sans compter, bien sûr, une grande roue de 10 mètres qualifiée dans les documents promo de "seule authentique encore utilisée".

Concours de circonstances, dites-vous? C'est que la liste est encore longue.

Sans parler de Musée Eden et autres téléséries qui nous ont récemment frottés à notre passé, on citera le théâtre Ondinnok et son spectacle Xajol Tun Rabinal Achi, lequel puise aux sources du théâtre amérindien et fait revivre "la plus pure tradition maya" (Yves Sioui Durand nous en parle d'ailleurs quelques pages plus loin dans ce journal).

On citera encore le Marché public dans l'ambiance du XVIIIe, présenté par le musée Pointe-à-Callière les 28 et 29 août, qui nous convie à rien de moins qu'un "saut dans le temps en compagnie de producteurs agricoles, d'artisans et d'animateurs comme si vous étiez en 1750, au temps du premier marché public de Montréal".

1750, une époque authentique à souhait, bien avant l'apparition des légumes génétiquement modifiés ou du bouf gavé d'antibiotiques.

Le bon vieux temps, vous dis-je.

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Toutes ces manifestations aiguisent notre mémoire, ce qui est très bien, mais cela ne va-t-il pas plus loin? Ce besoin criant de faire un pas en arrière ne traduit-il pas un certain vertige devant ce qu'est devenu le monde et son futur proche, cette machine qui tourne à plein régime, productrice infatigable de poudre aux yeux et de satisfactions immédiates?

Ça dure le temps que ça dure, direz-vous. Ce monde imparfait, nous ne l'échangerions pour aucun autre. Un petit coup de nostalgie pour les époques révolues, époques séduisantes dont le temps, fidèle à lui-même, a gommé les aspérités, puis hop! Retour vers le futur…

Ça me fait penser à ces centaines d'ados qui, cet été, enfileront une armure de carton pour aller jouer aux chevaliers dans les boisés du mont Royal, évasion médiévale de quelques heures avant de réintégrer le cinéma maison climatisé de papa et de regarder Avatar le volume à fond tout en conversant avec leurs amis Facebook sur leur nouvel iPad.

(Oups! J'ai nommé la bébelle…)

Si vous le voulez bien, nous reviendrons sur le sujet de l'authenticité quand paraîtra – bientôt j'espère – la traduction française de The Authenticity Hoax, du peu banal essayiste Andrew Potter. Un livre qui fait actuellement fureur au Canada anglais, dans lequel Potter dit en substance que cette quête effrénée d'authenticité qui caractérise notre époque – bouffe bio, produits locaux, habitations en accord avec la nature -, et qui serait une réponse au fast-food, aux "amitiés" électroniques et au marketing mensonger, plutôt que de représenter une protection contre le monde moderne, est une aliénation en soi.

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Aussi à lire dans cette édition, notre moisson francofolle, notre regard sur le 15e anniversaire de Nuit Blanche sur Tableau Noir et le fruit acide d'une rencontre entre David Desjardins et l'écrivain James Ellroy, qui revisite le passé proche de l'Amérique pour en déboulonner les mythes et les statues.