Ça sent la coupe
Juillet 1982. Comme chaque été ou presque, je passe quelques semaines en France avec ma famille, à moitié française. J'y retrouve quelques cousins dont je suis proche, avec lesquels j'ai fait les 400 coups l'été précédent. Or cette année-là, je les reconnais à peine.
Mondial. Platini. Foot. Ils n'ont que ces mots-là à la bouche. Des mots qui ne veulent pas dire grand-chose pour le petit Nord-Américain que je suis. Pire: quand ils réalisent à quel point je suis ignorant de la Coupe du monde disputée ces jours-là en Espagne, ils me regardent comme une curiosité, un extraterrestre.
Il ne serait pas un peu lent, le Québécois?
Ce que mes cousins ne savent pas à cette époque, et qui leur aurait sans doute paru invraisemblable, c'est qu'au Québec, le foot n'est alors qu'un sport mineur, parmi bien d'autres. Et encore, on s'entête à lui donner un autre nom que le restant de la planète.
La Fédération internationale de football association, elle, est parfaitement au courant. Elle sait qu'au nord du Mexique, le ballon rond est encore dans l'ombre du baseball, du hockey et de celui qui lui a chipé son nom: le football américain. Raison pour laquelle son controversé président, João Havelange, pèsera de tout son poids, quelques années plus tard, pour que le Mondial 1994 soit tenu aux États-Unis. Au grand dam de l'Afrique d'ailleurs, où l'on croyait les astres alignés pour une première coupe sur le continent noir grâce à la candidature marocaine – comme on le sait, cette première attendra encore plusieurs années.
Voilà le genre de choses que l'on apprend en feuilletant Géopolitique de la Coupe du monde de football 2010, paru il y a quelques jours aux Éditions du Septentrion. Dans cet ouvrage collectif dirigé par le chercheur et fan de foot Éric Mottet, ouvrage fort documenté mais accessible, on mesure à quel point l'histoire de la FIFA est indissociable de l'histoire elle-même.
Depuis la première Coupe du monde, en 1930, nombreux sont les exemples où les rivalités ont débordé les limites du terrain. On a souvent parlé de la récupération propagandiste de la Coupe du monde 1934, organisée dans l'Italie de Mussolini. Une "vaste opération de mise en valeur du fascisme", rappellent les auteurs, durant laquelle le Duce exige ni plus ni moins qu'un succès italien, ce qui se traduira entre autres par l'embauche d'arbitres parfaitement complaisants.
Autre épisode chaud: celui du match Argentine-Angleterre, en quart de finale de la coupe 1986. Quatre ans plus tôt, les deux pays s'étaient entredéchirés durant ce qu'on allait appeler la guerre des Malouines, les belligérants revendiquant tous deux leur souveraineté sur cet archipel situé à 500 km des côtes argentines.
"Nous étions là pour venger nos morts", dira du match en question le coloré Diego Maradona dans le film que vient de lui consacrer le cinéaste serbe Emir Kusturica (l'excellent Maradona par Kusturica, à l'affiche à Montréal à compter du 18).
Match gagné par l'Argentine (qui allait ensuite remporter l'ultime trophée) grâce entre autres à ce fameux but marqué "un poco con la cabeza de Maradona y otro poco con la mano de Dios"1, dixit le principal intéressé.
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"Nous étions là pour venger nos morts."
Une phrase évidemment hors sujet, on ne parle après tout que d'un carré de pelouse, d'un ballon et de 22 types qui courent après. Mais une phrase qui en dit long.
Dans le film de Kusturica, on découvre un Maradona hyper politisé, ami de Fidel Castro et d'Hugo Chávez, suivant de près les situations tendues à travers le monde, manifestement heureux de son train de vie de star mais éternel défenseur des opprimés et des gagne-petit, des pays du sud en lutte avec les exploitants du nord.
On le voit bien, dans sa lecture du monde aussi le football est plus qu'un sport. Le stade est le lieu d'une éventuelle revanche, d'un duel dont l'issue n'est pas connue d'avance et dont les conséquences peuvent être profondes.
Ce que l'ancien président américain Gerald Ford résumait parfaitement en ces mots: "Un succès sportif peut servir une nation autant qu'une victoire militaire."
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Cette Coupe du monde 2010 a beau prendre toute la place ou presque – ici comme ailleurs cette fois, à tel point que le récent Grand Prix de Montréal a fait jaser à peine plus qu'une compétition d'aviron -, il se passe bien des choses en parallèle.
À lire cette semaine, le journaliste français Éric Zemmour et sa charge contre le concept d'accommodements raisonnables, la critique de la plus récente expo de Patrick Coutu de même que les entrevues qu'ont accordées à Voir Jacques Higelin, Marie-Claire Blais et Yvan Attal.
Comme le chanterait Daniel Lavoie: "Et tout ça ça se passe / Quelque part dans l'espace / Sur une boule qui roule dans l'infini".
1 "Un peu avec la tête de Maradona, un peu avec la main de Dieu."