Mots croisés

L’écorce et le fruit

Vous vous rappelez cette scène de La Guerre des étoiles où R2-D2 déploie un petit projecteur et diffuse un film holographique devant Luke Skywalker et C-3PO?

En 1977, année de la sortie du film de George Lucas, l'affaire paraissait hautement futuriste – elle avait d'ailleurs représenté un sérieux défi pour les techniciens de Lucasfilm. Trente-trois ans plus tard, alors que les effets spéciaux atteignent un degré de véracité à couper le souffle, alors qu'on s'attend à voir les premiers téléviseurs 3D débarquer d'ici quelques mois dans les salons, la scène en question ressemble à un lointain balbutiement.

J'ai reçu il y a quelques jours une invitation de l'entreprise montréalaise SENSIO Technologies, chef de file mondial en matière de technologie 3D. Les gens de SENSIO m'invitaient, ainsi que quelques autres, à regarder dans la petite salle de cinéma privée attenante à leurs bureaux le match de demi-finale de la Coupe du monde opposant les Pays-Bas à l'Uruguay. En 3D, bien sûr (si vous vous demandiez à quoi servaient les huit énormes caméras couvertes autour du terrain, mardi dernier, vous voilà au courant: l'industrie de la 3D avait choisi cet événement pour le clamer haut et fort, la télé tridimensionnelle, c'est pour demain).

De nature dévouée, je n'ai pas hésité, dans le cadre de l'élaboration de cette chronique bien sûr, à me prêter à l'exercice…

Ce que j'en ai pensé? Permettez-moi d'y aller, avant de me faire commentateur des derniers gadgets vidéo, de deux ou trois notes sur le sujet.

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En 1991, il y a presque 20 ans, U2 chantait Even Better Than the Real Thing. Indirectement au moins, Bono et sa bande pointaient la réalité telle que restituée par la technologie, suggérant un résultat mieux que la réalité initiale.

Force est d'admettre que c'est exactement ce que la technologie, depuis, nous propose. Le son émis par les chaînes stéréo ambiophoniques surpasse en qualité la diffusion naturelle de la musique, c'est ce qu'on nous dit; l'écran du nouveau iPhone 4 a une résolution supérieure à ce que peut percevoir l'oil humain, la promo du bidule est basée là-dessus.

Au-delà d'une certaine prétention de la technologie, au-delà d'un marketing effronté qui s'appuie sur cette idée qu'il faille offrir plus que la concurrence, en l'occurrence le réel, il faut en retenir que la technologie, aussi poussée soit-elle, ne produit pas de la réalité. Elle produit quelque chose qui s'y apparente, qui est un peu plus, un peu moins, et en tous les cas qui est autre chose.

Dans Le Dieu manchot, le regretté José Saramago écrivait: "Ce n'est pas à l'écorce qu'on connaît le fruit mais en y plantant les dents." J'espère ne pas perturber son dernier repos en appliquant la phrase au sujet qui nous occupe. En évoquant de façon convaincante l'écorce, on restitue quelque chose qui, sans être le fruit, en suggère la saveur dans la bouche du spectateur.

Comme devant toute nouvelle technique, tout nouvel outil, on peut en faire quelque chose d'intéressant ou pas. Cet "autre chose" peut être fabuleux, et sans doute les prochaines évolutions de l'art sont-elles intimement liées aux possibilités de ces technologies.

On a vu, ces dernières années, quelques exemples d'une intégration inspirée de l'holographie à la création artistique (je pense, entre autres, au spectacle multimédia Norman, cet hommage à Norman McLaren signé par Michel Lemieux et Victor Pilon en 2007). On n'a guère besoin d'une boule de cristal pour avancer qu'il ne s'agit que du tout début.

Maintenant que la 3D va devenir la règle et non plus l'exception (ce qu'elle a toujours été, de Jaws 3D, qui remonte à 1983, au tout récent Histoire de jouets 3), il sera intéressant de voir la place qu'elle prendra au cinéma, au théâtre, mais aussi dans les musées, dans les salles de concert…

Suggestion à ceux qui conçoivent l'art de demain: regardez non seulement du côté du matériel audiovisuel dernier cri et des superproductions qui l'emploient, mais aussi du côté de ce que fait la Britannique Runa Islam, par exemple. Runa Islam, actuellement à l'affiche du MAC, réfléchit précisément à notre rapport à l'ouvre cinématographique, à sa capacité à créer du rêve et à faire tourner les rouages de la mémoire.

"On commence à peine à jouer avec la 3D", me disait Richard LaBerge, cofondateur de SENSIO, à la mi-temps du match Uruguay-Pays-Bas. Avant d'ajouter: "On commence à peine à en voir les possibilités, en fait. Les réalisateurs pensent encore en 2D, tout reste à faire."

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Ce match, donc. L'expérience se résume en un mot: extra. Une sensation de proximité franchement étonnante, une impression d'être assis dans les gradins, en Afrique du Sud.

Je crois Richard LaBerge sans hésiter quand il me dit qu'en 2013, les téléviseurs 3D seront la norme dans les foyers. Quand on aura goûté aux séries éliminatoires de la LNH ainsi traitées, on ne voudra plus s'en passer.

Ça ne nous coupera pas l'envie de nous asseoir au stade ou à l'aréna lorsque possible, mais ça va rendre la solution de rechange assez attrayante, merci.

À défaut d'avoir le fruit à portée de main, pourquoi se priver des mille et un reliefs de son écorce?