Meurtres et mystère
Mots croisés

Meurtres et mystère

"Êtes-vous content de revenir au Québec?"

C'est par des questions de ce genre que Jacques Mesrine a été accueilli à sa descente d'avion, fin juillet 1969, après avoir été arrêté en Arkansas et extradé vers le Canada. Les questions de journalistes surexcités, le traitant comme la star médiatique qu'il était, de fait, en voie de devenir (c'est durant ce point de presse improvisé qu'il lancera, cabotin, un "Vive le Québec libre!" parfaitement dérisoire).

Mesrine a toujours aimé les médias, qui le lui rendaient bien. Il se servait d'eux, il en comprenait parfaitement la mécanique. Ce qui a parfois donné lieu à des situations incongrues. En août 1978 par exemple, alors qu'il vient de s'évader de la prison de la Santé à Paris, que toutes les polices de France le pourchassent, et qu'il parvient à accorder en douce une entrevue à une journaliste de Paris Match

Les films que lui consacre Jean-François Richet – dont le premier prend l'affiche à Montréal cette semaine – montrent bien la complexité du personnage, son attirance pour le jeu et la gloire autant que pour le fric et les filles. Trait de caractère qui ne fait aucun doute, contrairement à tout le reste ou presque: en effet, plus on lit sur Mesrine et moins on en sait sur lui, tant les uns et les autres se contredisent, voyant en lui tantôt une bête assoiffée de meurtre, tantôt un gentleman cambrioleur ayant en réalité bien peu de sang sur les mains (un fait parmi le flou ambiant: on n'aurait à ce jour établi sa culpabilité dans aucun des homicides qui lui sont imputés, pas même celui des gardes forestiers québécois, en 1972, crimes qu'a lui-même reconnus Mesrine).

La vérité, fidèle à elle-même, se loge sans doute quelque part entre les deux.

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Ces jours-ci, il est de bon ton de dire que Mesrine était charismatique, oui, qu'il avait un certain sens de l'honneur, mais qu'il demeure avant tout un dangereux criminel. Il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a même un temps, pas si lointain, où Mesrine représentait pour plusieurs un anarchiste flamboyant, une victime du système qui s'était rebellée contre lui et vivait à fond sa soif de liberté, sans concession.

Le producteur de cinéma et éditeur français Gérard Lebovici a beaucoup contribué, au début des années 1980, à véhiculer le portrait d'un Mesrine "parfait symbole de la liberté". Lebovici, celui qui allait un jour demander à Renaud, le sachant sensible au personnage et à sa non-soumission, d'écrire une chanson "en l'honneur" de Mesrine. Il faut dire que quelques mois plus tôt, Renaud avait dédié son album Marche à l'ombre à Paul Toul, l'un des pseudonymes du célèbre braqueur…

La chanson n'a jamais vu le jour, ou à tout le moins n'a jamais circulé, mais il n'en reste pas moins que Mesrine a fait l'objet de beaucoup d'indulgence aux yeux de ceux qui ont, à une époque du moins, préféré voir en lui un être détraqué par la France, qui l'avait envoyé faire du sale boulot en Algérie à la fin des années 1950, prêtant une foi excessive à des phrases telles: "On a armé ma main au son de la Marseillaise et cette main a pris le goût de l'arme."

Une phrase tirée de L'Instinct de mort, l'autobiographie publiée par Mesrine en 1977 (Jean-Claude Lattès), dans laquelle on peut aussi lire le récit cru de quelques meurtres, comme celui d'un certain Rachid, proxénète, envoyé par le fond d'un étang parce qu'il prétendait avoir des "droits" sur sa copine Janou (Jeanne Schneider, celle avec laquelle il allait plus tard vivre à Montréal): "Quand avec l'autre chaîne je fis le tour du cou, puis de la taille, puis des pieds de Rachid, je le sentis frémir. J'attachai les deux chaînes entre elles. Comment l'enfant de douze ans qui avait pleuré la mort d'une mésange en était-il venu à cette froideur dans le meurtre, à l'âge de trente-deux?"

À ce titre, il est intéressant de rappeler que Vincent Cassel, qui incarne brillamment Mesrine dans les films de Richet, a d'abord refusé le rôle, trouvant qu'on faisait du gangster une sorte de héros. Ce n'est qu'après de profondes modifications au scénario que l'acteur a décidé de plonger.

Dommage que tout le monde n'ait pas fait preuve d'autant de jugement devant celui qui, circonstances atténuantes ou non, n'avait sûrement pas volé son titre d'ennemi public numéro 1.

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Cette semaine, outre une entrevue avec Vincent Cassel, l'entretien qu'a accordé à Voir la comédienne et auteure-compositrice-interprète Juliette Lewis, de même qu'un regard sur le travail récent des Biches Pensives, qui ont voulu théâtraliser, à travers Nous sommes faits (comme des rats), des faits en apparence anecdotiques, drames ordinaires a priori moins destinés aux planches qu'aux colonnes des journaux à sensation.

Comme quoi tout est dans la manière.