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"Faut croire qu'il y a une justice en ce bas monde…"

C'est la fille derrière moi qui vient de parler. Une fille qui, comme moi et ma descendance, fait la file depuis plus d'une heure pour aller vivre quelques secondes d'émotions fortes dans le Monstre, les bonnes grosses vieilles montagnes russes de La Ronde.

Elle dit ça tout sourire, en regardant les privilégiés qui eux ne patientent que depuis quelques minutes, munis qu'ils sont d'une Passe Flash, mais dont la file, ironie superbe, n'est pas à l'abri comme la nôtre de l'averse qui vient de s'abattre sur l'île Sainte-Hélène.

Hé hé, c'est que tout ne s'achète pas, que voulez-vous. Pas encore en tout cas.

Vous ne connaissez pas la Passe Flash? Depuis quelque temps, La Ronde applique deux tarifs: le tarif "commun des mortels", qui représente déjà une sortie dans les trois chiffres au minimum pour les parents et leur descendance, et le tarif "payez plus, attendez moins", qui donne le droit, moyennant un prix d'entrée grosso modo deux fois plus élevé, de court-circuiter les files d'attente des manèges les plus populaires et de n'attendre qu'une dizaine de minutes là où les autres attendent six fois plus.

La Passe Flash platine, une nouveauté cette année, donne même l'autorisation de faire deux tours de manège de suite, sans refaire la file.

Je pense la même chose que vous. Beau signal à envoyer aux enfants et aux ados, clientèle principale de La Ronde: ceux qui ont plus de fric passent devant les autres.

La pointe lancée par cette fille derrière nous n'est que l'une des très nombreuses pointes entendues ce jour-là. La grogne est flagrante partout sur le site. Et au-delà: je viens de tomber sur une page Facebook intitulée "Contre les flash-pass de La Ronde".

Il faut dire que la passe en question ne signifie pas qu'un privilège pour les uns, mais aussi une pénalité pour les autres: ceux qui n'ont payé "que" 45 $ l'entrée attendent encore plus longtemps, forcément, puisqu'il n'y a pas plus de places qu'avant dans les toboggans.

Pendant que ma descendance s'égosillait dans les manèges, dimanche dernier, tout ceci me laissait fort perplexe.

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Petite histoire de La Ronde. Créée à l'occasion d'Expo 67, La Ronde est présentée comme le nec plus ultra des parcs d'attractions. Ses concepteurs ont d'ailleurs sillonné le monde pour dénicher le top en la matière, ce qui nous a donné des manèges alors d'avant-garde, dont quelques-uns sont encore en activité (eh oui, la Pitoune a la quarantaine bien sonnée!).

"La Ronde, le plus gros joujou au monde", chantait d'ailleurs Marc Gélinas. Là où "tous les enfants de la Terre font la fête, font la fête".

Je me demande ce qu'on aurait pensé d'une Passe Flash à l'époque, en cette Terre des Hommes célébrant la fraternité, l'égalité entre les peuples de partout et dont le fameux logo, inspiré d'un cryptogramme ancien, symbolisait la ronde de l'amitié entre les pays.

Mais ça, Six Flags, la chaîne américaine qui a racheté La Ronde en 2001, doit s'en battre les couilles.

Six Flags qui, il y a quelques années, a pensé interdire aux visiteurs d'apporter leur propre lunch sur le site, histoire de vendre plus de patates frites – la compagnie avait dû faire marche arrière devant le tollé provoqué.

La Ronde est mieux gérée qu'elle ne l'a jamais été, à peu près tous les observateurs en conviennent. "Gérée" au sens strict, évidemment: les manèges sont entretenus correctement et le parc rapporte à ses propriétaires. Qu'importe l'esprit et les valeurs qui ont nimbé le début de ses activités.

Sur la page Facebook ci-haut mentionnée, le fil de discussion tourne au mini-procès en règle de notre société et de ses rouages. Y a-t-il si peu de limites à ce que l'on peut monnayer? Et surtout: n'y a-t-il pas là une illustration criante de la société en général?

Bienvenue dans l'ère de la Passe Flash, dans le secteur du divertissement comme dans ceux de la santé, de l'éducation, de la justice ou (insérer ici le secteur d'activité humaine de votre choix).

Ça a toujours été un peu comme ça, dites-vous? Peut-être, mais durant le 20e siècle, de grands efforts avaient été faits en Occident pour renverser la vapeur (accès universel à l'éducation, aux soins de santé, à une relative protection sociale).

Certains acquis demeurent, bien sûr. C'est l'impression de marche arrière qui achale.

L'impression d'avoir atteint le sommet des montagnes russes, il y a deux ou trois décennies, puis d'être reparti vers le bas.

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À surveiller cette semaine, une entrevue avec Catherine Vidal et ses comparses du Groupe Bec-de-Lièvre, qui proposent une relecture paraît-il brillante du Grand Cahier d'Agota Kristof – voilà des gamins qui, dans un monde en ruine, s'inventent des jeux qui ont peu à voir avec ceux des parcs d'attractions.

Aussi, je vous invite à lire mes collègues Steve Proulx et Nicolas Dickner, dont les chroniques font elles aussi écho, sans qu'il y ait eu la moindre concertation, aux soubresauts de l'évolution.