Moi? Jamais!
C'est la faute à Pinocchio.
Que ce soit pendant quelques heures ou quelques mois, les gamins en sont convaincus: s'ils mentent, il va leur arriver quelque chose de grave.
Et puis ils comprennent le truc. Ils ont beau aligner les petits et moins petits mensonges, leur nez jamais ne s'allonge. Après c'est une question de technique, de savoir-faire: pour ceux qui ne se font pas pincer, pas de réprimande, pas de conséquence.
Ton histoire est mignonne, Pinocchio, mais elle ne tient pas debout.
S'ouvre alors la vraie vie, grande aventure où le mensonge brille de plus en plus comme un outil précieux, une corde à son arc, et où on a souvent l'impression que l'avenir appartient d'abord à ceux qui en maîtrisent l'art.
Question de technique, de savoir-faire. Et d'aplomb.
Alberto Contador, le réputé blanc comme neige vainqueur du dernier Tour de France, aurait lui aussi bénéficié de transfusions illicites? "Moi? Jamais! Je l'ai toujours dit et le répèterai toujours…"
Nicolas Sarkozy mènerait la France entière en bateau quant à son implication dans l'affaire Bettencourt? "Moi? Jamais! Je l'ai toujours dit et le répèterai toujours…"
Plus près de nous, notre premier ministre serait impliqué jusqu'aux ongles dans un système de corruption étatisé? "Moi? Jamais! Je l'ai toujours dit et le répèterai toujours…"
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En cette année qui passera sans doute à l'histoire comme celle du mensonge et des apparences de, je vous encourage à mettre le nez, qu'il soit court ou long, dans quelques textes rédigés il y a longtemps mais qui nous parlent comme si on les avait écrits hier.
Il se trouve en effet que le mensonge et son éventuelle nécessité font partie des choses les plus documentées qui soient en littérature, en particulier dans le registre du pouvoir.
Dans L'Art du mensonge politique, un pamphlet publié en 1733 et attribué à Jonathan Swift, on définit le mensonge comme "l'art de convaincre le peuple", de lui faire avaler des faussetés, si nécessaire, pour peu qu'elles aient "quelque bonne fin".
Détaillant l'arsenal du menteur aguerri, Swift pose par ailleurs la question: vaut-il mieux combattre un mensonge par la vérité ou par un autre mensonge? Et répond que la seconde méthode est souvent plus concluante: "Le moyen le plus propre et le plus efficace pour détruire un mensonge est de lui opposer un autre mensonge."
Mais la référence en la matière, c'est encore Nicolas Machiavel (1469-1527), grand promoteur de l'idée selon laquelle "la fin justifie les moyens". Dans Le Prince, un traité qui nous trouble depuis bientôt cinq siècles, Machiavel s'attache à montrer que pour l'homme d'État, le mensonge quelquefois s'impose. Il écrit, par exemple: "Un Prince de notre temps, lequel il n'est bon de nommer, ne chante d'autre chose que de paix et de foi; et de l'une et de l'autre, il est très grand ennemi; et l'une et l'autre, s'il les eût bien gardées, lui eût souvent ôté ou son prestige ou ses États."
Ce prince, les historiens le savent, n'est autre que Ferdinand le Catholique, qui a unifié l'Espagne au nom de la chrétienté, et si la formule nous apparaît vieillotte, son propos n'a pas pris une ride.
Le penseur florentin a évidemment eu de nombreux disciples au fil du temps. Parmi mille exemples, un Benito Mussolini enchanté écrivait, en 1924: "J'affirme que la doctrine de Machiavel est vivante aujourd'hui, après plus de quatre siècles."
Note: je ne suis pas en train d'amalgamer les grands mensonges de l'histoire et les mensonges (ou apparences de) qui font aujourd'hui la manchette. Je ne fais que soupçonner une chose: pouvoir et mensonge dansent en tandem, plus ou moins collés selon les jours.
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Le mensonge est partout, sans doute indissociable de la condition humaine. Et comme tout ce qui paraît indissociable de ce que nous sommes, mieux vaut y voir aussi des bons côtés.
Parmi les optimistes, Anatole France, qui disait: "J'aime la vérité. Je crois que l'humanité en a besoin; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d'ennui."
Fabuleux matériau, le mensonge a en tout cas inspiré bien des créateurs. On présente ces jours-ci au TNM L'Opéra de quat'sous, de Bertolt Brecht et Kurt Weill, et si la mise en scène qu'en signe Robert Bellefeuille n'est pas sans défauts (on trouvera en section Arts de la scène la critique de notre collaborateur Philippe Couture), voilà une belle occasion de voir ce classique rarement monté ici, ne serait-ce que pour mesurer à quel point les menteurs s'en tirent souvent à bon compte: Mack The Knife, qui ment comme il respire, à ses femmes, à ses complices, aux autorités, ne va-t-il pas finir anobli par la reine?!
Aussi à surveiller cette semaine, le maestro Kent Nagano, qui est passé par nos bureaux pour nous parler d'une association entre l'OSM et Mutek, de même que quelques vérités sur le Festival international de la poésie de Trois-Rivières, où une équipe de l'émission Voir a effectué un raid il y a quelques jours.
Morale de cette histoire : dommage que les nez n’allongent pas vraiment, ils s’entrechoqueraient à une certaine commission. Un risque ; les nez deviendraient des épées …
C’est vrai que la conséquence au mensonge n’est pas le nez qui allonge, mais elle est bien pire en fait, la confiance qui disparait. Et pas de confiance, où va-t-on ? Pas aux urnes, en tous les cas.
Une conscience, une morale, ces valeurs si intimes, que non interchangeables.
Vous mélangez Ingrid Betancourt et l’affaire Bettencourt.
Relisez un peu l’actualité!
Bonne chance, et bon courage.
Madame Gagnon,
Merci de votre vigilance, mais il s’agit d’une malheureuse coquille (j’étais en train de lire, en parallèle, le livre d’Ingrid Betancourt!), laquelle a été corrigée dès jeudi dernier dans la version électronique.
Bonne journée, Tristan