La semaine sainte
Mots croisés

La semaine sainte

Qui aurait misé là-dessus? En cette semaine d'actualités brûlantes, où le gouvernement Charest a confirmé le peu de cas qu'il fait de l'avenir du français, où l'on a vu 33 mineurs chiliens extirpés des entrailles de la terre; cette semaine surtout où, plus grave, on a appris de la bouche de Keith Richards lui-même que Mick Jagger n'est doté que d'un tout petit moineau, qui est-ce qui vient voler la vedette?

Alfred Bessette bien sûr, le portier devenu saint.

Admettez qu'on s'est tous un peu pincé, le week-end dernier, devant la couverture médiatique mur à mur et l'avalanche de témoignages entourant la canonisation du frère André. Combien ont relu deux fois la page du calendrier, les yeux ronds? Sommes-nous bien au Québec, en octobre 2010? Les Québécois sont-ils encore à ce point sensibles aux promotions accordées par le Vatican?

Pas de raccourcis, je vous prie, gardons la tête froide. Force est d'admettre que certaines statistiques contredisent un peu l'idée communément admise d'un Québec ayant redescendu pour de bon le perron de l'église. Tenez-vous bien: selon la firme Léger Marketing, un de nos concitoyens sur trois croirait aux miracles du frère André. Ça fait du monde.

Mais est-ce bien si étonnant? Dire qu'il ne croit pas à ces miracles-là, pour un Québécois, c'est un peu comme dire, pour un Islandais, qu'il ne croit pas aux elfes.

L'analogie vous choque? Je ne fais pas de rapprochement entre le petit Jésus et les lutins, mais bien entre deux sujets indissociables de leurs cultures respectives. (Lors d'un sondage récent, d'ailleurs, les Islandais ont répondu dans des proportions semblables qu'ils y croyaient, aux elfes!)

Bon, ceci étant dit, je viens de faire un sondage express à la rédaction du Voir. L'exercice n'a aucune prétention scientifique, mais au bureau, le taux de croyance aux miracles tourne autour du zéro pointé…

Notre génération – je parle de collègues dans les eaux de la trentaine, ou encore un peu en aval et un peu en amont – paraît pour tout dire assez consternée par ce branle-bas, se demandant si ce n'est pas par un réflexe non dénué d'hypocrisie que les médias et la société en général applaudissent l'arrivée du premier saint de notre histoire.

Tout comme on sait encore faire le geste qu'il faut quand vient le temps de communier, à la messe de minuit.

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Cette même génération est bien placée pour mesurer la vitesse à laquelle l'Église a perdu du terrain sous nos latitudes. Je pense incarner moi-même un témoin valable: j'ai grandi dans un village des Cantons-de-l'Est où, jusqu'à récemment, la religion modulait encore beaucoup la vie paroissiale.

J'ai, dans mes tendres années – n'ajustez pas votre appareil -, plusieurs fois servi la messe.

Le jour de ma première communion, ma grand-mère a accroché au-dessus de mon lit un crucifix (un crucifix très beau, très moderne, je tiens à le préciser; ma grand-mère avait du goût).

Je viens surtout d'une famille dont le père a un jour quitté l'ordre des dominicains, auquel il avait décidé d'appartenir.

Eh oui, à peu près à l'âge que j'ai aujourd'hui, mon père défroquait pour pouvoir vivre ce qu'il avait l'intention de vivre avec ma mère. C'est donc à moitié surpris que j'observe les événements actuels. Le Québec a trop longtemps mariné dans l'eau bénite pour ne pas s'en émouvoir.

Pour tout dire, je suis plus préoccupé qu'étonné. La soif ne disparaît pas parce qu'on arrête de boire, comme on dit, et je me demande bien ce qui viendra combler, durant les prochaines décennies, notre besoin de nommer les vertiges de notre espèce en vrille dans le vide cosmique.

Vous avez un avis là-dessus?

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Connaissez-vous le projet Sacrée montagne, sur lequel se penchait ma collègue Mélissa Proulx dans notre édition du 7 octobre? Ce "docu-web évolutif", conçu par Hélène de Billy et Gilbert Duclos et produit par l'Office national du film, représente une belle occasion de réfléchir, dans un esprit d'ouverture et de ludisme, aux notions de rite et de sacré.

Intrigué? www.sacreemontagne.onf.ca

Sans évacuer l'importance de l'oratoire Saint-Joseph et la forte dimension catholique de l'histoire du mont Royal, les concepteurs et les nombreuses personnes qui ont contribué à la réflexion (Natalie Choquette, Jean Barbe, Dany Laferrière…) montrent à quel point un lieu pareil, par les moments d'arrêt et de solitude qui s'y vivent, par les communautés et les cultures qui s'y croisent, peut acquérir un caractère sacré.

Ça me plaît assez, moi qui aime, et de plus en plus, les églises à ciel ouvert.