Mots croisés

Mamie dans l’espace

L'Homme ne supporte pas l'inconnu, l'histoire l'a mille fois démontré. Un bel exemple: notre espèce avait à peine posé le pied sur la Lune qu'elle rêvait déjà du prochain petit pas qui lui ferait faire un bond de géant: le pas qu'elle ferait tôt ou tard sur Mars.

Quarante ans après, le projet excite plus que jamais les imaginaires mais demeure hypothétique. Personne n'entrevoit le périple avant 2030, dans le meilleur des cas. Il faut dire qu'il y a une sacrée marge entre la distance Terre-Lune, 384 400 kilomètres en moyenne, et la distance Terre-Mars, au mieux 56 millions de kilomètres.

Devant la difficulté d'assurer le voyage aller-retour – plus ou moins 250 jours fois deux, forte exposition aux radiations et contraintes psychologiques évidentes; hasardeux (et très onéreux) dispositif pour le vol de retour -, une idée fait son chemin dans les milieux scientifiques: celle de l'aller simple!

Vous avez bien lu. Un projet actuellement à l'étude à la NASA et au DARPA (Département des projets de recherche avancée des forces armées américaines, celui-là même qui a accouché du concept d'Internet) impliquerait l'envoi vers Mars de quatre volontaires acceptant l'idée d'y emménager pour de bon.

On parle d'individus de plus de 50 ans, qui n'ont plus l'intention d'avoir d'enfants. Eh oui, on sait déjà que les radiations risquent fort de griller le système reproducteur de nos colons de l'espace.

Le scénario ne fait pas l'unanimité, il va sans dire. Personnellement, je me délecte des efforts déployés par les pro-aller-simples pour justifier une formule qui, on s'en doute, repose d'abord sur des motifs économiques (c'est qu'en faisant une croix sur le retour au bercail, voyez-vous, on diminue de 80 % les frais de la mission).

Leurs arguments? "Il ne s'agit pas d'une mission suicide. Ces astronautes seront les précurseurs d'une colonie humaine permanente sur Mars. […] Ils pourront réaliser là-bas d'importantes expériences scientifiques et technologiques", dixit les chercheurs Dirk Schulze-Makuch et Paul Davies, dans un article paru dans le Journal of Cosmology.

L'optimiste tandem ajoute que l'humanité ne serait plus une fragile espèce limitée à une seule planète. Advenant une collision grave entre la Terre et un astéroïde, nous ne serions pas irrémédiablement anéantis.

Si vous permettez, je me demande bien comment quelques retraités aux zizis radioactifs, paumés sur une mer de caillasse, pourraient assurer l'avenir du genre humain.

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Depuis quelques jours, j'essaie de mettre le doigt sur le bobo, de comprendre pourquoi cette histoire d'aller simple cause chez moi un profond malaise.

Les scientifiques cités plus haut, ils n'ont pas tout à fait tort, soutiennent que s'embarquer pour une pareille mission revient à faire ce qu'ont fait des milliers de personnes en s'embarquant sur un navire en partance pour le Nouveau Monde, au 17e ou au 18e siècle, avec la quasi-certitude de ne jamais revenir en Europe.

Ces colons-là avaient tout de même l'espoir de voguer vers une vie meilleure, une terre qu'on disait riche en opportunités. Mars, bien qu'on ait maintenant la conviction d'y trouver quelques nappes d'eau glacée, demeure un vaste et inhospitalier désert.

Surtout, je me demande si on aurait accepté cette idée, à l'époque des premiers vols habités, que les astronautes n'aient pas leur billet de retour. Ces derniers prennent des risques, des risques énormes, ça va de soi. Mais le projet de les ramener à la maison fait partie du deal… On ouvre une drôle de porte en retirant cet élément de la notion d'expérience et d'exploration, non?

Les optimistes, encore eux, annoncent que plusieurs candidats se sont déjà montrés intéressés, comme si la nouvelle avait valeur d'argument. Comme si on ne trouvait pas des illuminés toujours prêts, scout un jour, scout toujours, pour n'importe quelle délirante entreprise.

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En attendant, il y a mille grands voyages à faire à deux pas de chez soi. À surveiller sur la planète Montréal cette semaine, le 33e Salon du livre et ses écrivains de partout – nous vous en présentons quelques-uns dans le cadre d'un spécial SLM étalé sur deux semaines -, la deuxième vague de Coup de cour francophone et les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), occasion de voir une centaine de films dans lesquels, bien souvent, le réel dépasse la fiction.

Ce sur quoi, je le sens, je ne pourrai m'empêcher de citer mes vers préférés de Baudelaire: "Ô mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre / Ce pays nous ennuie, ô mort! Appareillons! / Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre / Nos cours que tu connais sont remplis de rayons!"