Il y a trois types de nouvelles.
Il y a la nouvelle dont on sait illico qu'elle va marquer l'histoire. Les soulèvements populaires actuels en Afrique du Nord, par exemple.
Tous les observateurs en conviennent, le jeu de dominos grandeur nature qui a entraîné la chute – ou s'apprête à le faire – des Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et autres canailles présidentielles figurera dans les livres d'histoire parmi les événements politiques majeurs de la première moitié du XXIe siècle.
Il y a la nouvelle dont on sait illico qu'elle ne marquera pas l'histoire. Ce qui n'empêche pas qu'elle puisse faire trois fois le tour du globe. La récente coupe de cheveux de Justin Bieber, disons. La star à peine pubère a beau avoir ému tout ce que le genre humain compte de gamines de moins de 14 ans en mettant les ciseaux dans sa très placée mèche rebelle, il y a quelques jours, son nouveau look a beau avoir fait surchauffer les réseaux sociaux pendant 24 heures, tout le monde, y compris les gamines, aura oublié dans deux semaines.
Puis il y a la nouvelle embêtante. Celle dont on a du mal à évaluer la gravité, la portée. Cruciale ou banale? Dynamite ou pétard mouillé?
Cette nouvelle-là est évidemment la plus féconde. Elle laisse place à l'interprétation, au débat, à la chicane. On jauge, on juge, on se mouille, on se commet.
Des exemples?
Le jugement du Tribunal des droits de la personne interdisant la récitation d'un petit Je vous salue Marie avant les séances du conseil municipal de Saguenay. Le sujet est sur toutes les lèvres cette semaine, chacun a son avis là-dessus. Certains y voient un affront aux valeurs canadiennes-françaises; d'autres, une ultime avancée sur le chemin de la laïcité. Mais bien malin qui pourrait dire si cette querelle locale va mettre en péril tous les crucifix de la province qui ont le malheur d'être accrochés à l'extérieur d'une église ou d'un foyer. Cas isolé? Application prochaine de règles strictes en la matière?
Doux Jésus.
Autre cas: celui de François Legault et de sa Coalition pour l'avenir du Québec. Pour les uns, il faut y voir l'ouverture d'une nouvelle avenue politique dont le Québec avait besoin pour se sortir d'un cul-de-sac idéologique. Pour les autres, voilà un micromouvement promis à l'échec, un paquet de voux pieux ficelés ensemble et tendus à l'électorat avec un sourire de vendeur de chars.
Au fait, comme nous ne savons trop quoi en penser nous-mêmes, et puisque les axes de réflexion de ce groupuscule de centre droit touchent – on pourrait s'en étonner – à des réalités chères à nos yeux (culture, éducation…), nous vous invitons à réfléchir avec nous à ce qui deviendra tôt ou tard un nouveau parti politique (voir notre section jepenseque.voir.ca).
C'est le temps de jauger, juger, se mouiller, se commettre.
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On pourrait, il me semble, appliquer une grille semblable à notre réception de l'ouvre d'art.
Il y a la proposition qui nous séduit tout de suite, le succès annoncé. Prenons L'empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite, l'exposition actuellement à l'affiche au Musée des beaux-arts. Dès l'ouverture, la semaine dernière, nous avons tous entendu autour de nous les oooh! et les aaah! des premiers visiteurs. Impossible de rester insensible (ce que nous confirme Nicolas Mavrikakis en section Arts visuels) à ces soldats millénaires découverts par hasard en 1974.
On pense au film Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar, fable exquise, ou au tout récent Pierre Lapointe seul au piano, dont quelques mesures suffisent à nous convaincre que nous sommes devant un grand disque.
Il y a la proposition qui nous rebute dès la première écoute ou le premier coup d'oil. (Insérer ici le navet de votre choix ou, si rien ne vous vient à l'esprit, n'importe quel roman de Marc Fisher.)
Puis il y a celle dont on ne sait trop quoi penser sur le coup, qui va soit s'éteindre vite dans notre mémoire, soit s'infiltrer dans nos pensées comme un doux poison.
Proust m'avait fait cet effet, début vingtaine. J'ai avancé dans La recherche à tâtons, de peine et de misère, mais je n'ai cessé depuis de reluquer du côté de chez Swann. Et je sais que j'y reviendrai.
Plus récemment et dans un autre registre, le nouvel album de Radiohead provoque des symptômes similaires. Pas sûr au début, mais voilà que ça se loge en moi, peu à peu.
Il y a de doux poisons qui coulent dans vos veines, vous aussi?
Bonjour,
Merci pour cette chronique, elle peut aider les lecteurs à décortiquer les informations qu’ils lisent. Vous écrivez que les nouvelles dont on a du mal à évaluer la gravité laissent place à l’interprétation. Mais les nouvelles qui marqueront ou qui ne marqueront pas l’histoire également. L’emploi du futur en témoigne. Tant que la nouvelle n’est pas dans l’histoire (soit dans la mémoire collective, soit dans les oubliettes), elle laisse place à l’interprétation. Et ce qui détermine la place d’une nouvelle dans l’histoire c’est précisément l’interprétation que nous en faisons. Vous, moi, tout le monde. Nous sommes capables d’envoyer aux oubliettes de l’histoire des informations que d’autres jugent essentielles. La force du nombre, des médias est prépondérante. Heureusement, le ciel n’y est pour rien.
« C’est le temps de jauger, juger, se mouiller, se commettre. »
Très juste.
Habilement et subtilement, ce que vous initiez, c’est l’action. L’action de penser par soi-même en premier, l’action de poser les gestes conséquents par la suite. Les auditeurs passifs ne font pas l’Histoire.