Une campagne publicitaire
Mots croisés

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L'art et le politique sont deux cousins qui se chamaillent souvent mais ne peuvent se passer longtemps l'un de l'autre.

Depuis les balbutiements de l'humanité, la prise de pouvoir d'un individu ou la conquête d'un groupe par un autre sont presque toujours soulignées par des manifestations musicales et graphiques.

Des lointains tambours de la guerre aux fanfares militaires, des peintures rupestres aux fresques à la gloire de l'empereur ou aux graffitis des villes d'aujourd'hui, rythmes et arts visuels accompagnent les transformations de la société.

Puis le chef de clan, le souverain ou autre figure dominante rêve de voir la littérature et la dramaturgie fixer les faits saillants de son règne, assurance de leur inscription dans la mémoire collective, pendant que s'organise en parallèle, pour peu que le régime accorde une certaine liberté aux artistes, un art qui remet en question le pouvoir, l'aiguillonne et lui donne à voir l'envers de sa splendeur.

Les artistes, de leur côté, qu'ils chantent les succès du régime ou donnent dans le révolutionnaire, ont besoin du soutien du politique, pour assurer la diffusion mais aussi le financement de leur travail.

Bref, on ne s'entend pas toujours comme larrons en foire, mais on est sur le même bateau.

Le reflet du politique dans la création peut d'ailleurs donner des absurdités (imagerie cinglée des régimes totalitaires) comme des chefs-d'ouvre (armée de terre cuite de l'empereur Ying Zheng, dont on peut voir une dizaine de soldats ces jours-ci au Musée des beaux-arts; Le couronnement de Poppée, grand opéra de Monteverdi; Quatrevingt-treize, écho romanesque de Victor Hugo à la Révolution française…).

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Durant une campagne électorale, art et politique se côtoient d'un peu trop près au goût de plusieurs. Dont le mien. Et je ne parle pas de la place que réserve à la culture le programme des différents partis.

Autant il peut faire plaisir d'entendre certains airs entonnés "naturellement" par les supporters d'une cause (rien d'étonnant ni de bien méchant dans la reprise par les souverainistes du Gens du pays de Vigneault), autant la "commande" met mal à l'aise.

La chanson-thème de la présente campagne du Bloc, Parlons-nous, parlons Québec, a ceci de troublant qu'elle se présente non pas comme une chanson-slogan mais comme une "vraie bonne toune", dont les arrangements sont signés Mike Sawatzky (ancien Coloc) et les pianos, Antoine Gratton.

Pas terrible, ni sur la forme ni sur le fond ("Laissons derrière ceux qui nous barrent la route / Prenons l'unique équipe qui effacera le doute", mmmh), la ritournelle composée par Jason Hudon est tout de même moins imbuvable que le PUCAPAB lancé par les libéraux en février.

Vous vous souvenez, la chansonnette "créée" pour le PLC par Turbo Marketing et qui vilipendait les conservateurs avec autant de verve qu'une pub de Brault & Martineau…

Citation anonyme pêchée sur le Net: "L'art est politique sans le vouloir; dès qu'il se veut politique, il ne produit que de la propagande."

Un peu excessif mais pas bête. L'art peut traduire pleinement un projet de société, l'espoir ou l'indignation; si on le force à le faire, le message retombe comme une béchamel ratée.

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Bon d'accord, il vaut sans doute mieux des rapports art/politique problématiques que l'absence de rapports.

Stephen Harper, mis à part l'historique duo qu'il a formé avec Maria Aragon pour livrer au monde la pire version d'Imagine jamais interprétée, incarne le parfait contre-exemple de ce qui est dit depuis le début de cette chronique: on peut gouverner en ne se souciant pas plus de l'art que de sa dernière chemise à motifs westerns.

Ce dernier le lui rend bien: on a beau fouiller, pas moyen de trouver un créateur se disant ouvertement inspiré par l'action politique du très honorable (comme John Lennon se disait inspiré par Pierre Trudeau; comme tant d'artistes d'ici se sont dits inspirés par René Lévesque).

Il faut dire que l'art a souvent pour point focal un idéal. Comme l'idéal de Stephen Harper ressemble sans doute à une plaine infinie que gruge lentement l'industrie des sables bitumineux, pendant que des cowboys illettrés comptent avidement leurs dollars sous l'oil de journalistes aphones, les possibilités artistiques sont limitées.

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Puisque nous sommes critiques mais pas puristes, nous avons pour notre part demandé à l'art de se mêler non pas de politique, mais de journalisme. La une de cette semaine pourrait avoir pour titre "Lock par Lock", la photo de notre couverture étant l'ouvre du directeur artistique de La La La Human Steps lui-même.

À notre invitation, Édouard Lock a en effet accepté de mettre ses talents de photographe – reconnus – au service de Voir. Nous l'en remercions, et le félicitons pour cette très réussie photo.