«Trompe ta ville!»
C'est ce que hurle au passant, depuis quelques jours, un énorme dispositif publicitaire érigé en plein centre-ville. Une incitation à se montrer infidèle à Montréal, ne serait-ce que quelques jours, pour se jeter dans les bras de Toronto.
Sans doute une forme de réponse à la mythique formule de Charlebois («J'ai passé des nuits so-so à Toronto…»), mais surtout une superbe illustration des temps impies dans lesquels nous vivons.
Parce que vous l'avez certainement remarqué, vous aussi: le vice est partout.
La pub, qui est toujours le meilleur indicateur de ce qui grouille au fond de nous, en fait une spécialité actuellement: cent fois par jour, une réclame nous invite à tromper notre bière préférée, mais aussi notre épicerie, notre banque, notre carte de crédit, notre compagnie de câblodistribution, de téléphonie cellulaire… Comparez et vous verrez, l'herbe est plus verte ici!
Mais ce n'est que la pointe de l'iceberg: le stupre a gagné les électorats, où la mode est aussi à l'infidélité. On plaque le parti avec lequel on a filé le grand amour pendant des années, tiguidou laï dou, cap sur de nouvelles aventures! La tentation est trop forte, c'est sûrement mieux là-bas.
Ne me dites pas que vous ne vous reconnaissez pas.
Sans compter que les protagonistes des sphères politiques s'en donnent eux-mêmes à cour joie. L'actualité nous montre jour après jour, en effet, de beaux exemples d'élus prompts à jouer dans le dos de leur formation et à se laisser courtiser par les uns et les autres.
À la vie à la mort? Pfff, c'est fini ce temps-là.
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Il va sans dire que dans la sphère privée, c'est plus que jamais la bacchanale. Le saut par-dessus la clôture a ses nouveaux champions.
N'en rajoutons pas une couche sur l'affaire DSK, feuilleton mondial du quasi-président pogné les culottes à terre, ni sur Berlusconi et ses escortes mineures, mais permettons-nous un sourire en coin devant l'affaire Anthony Weiner, représentant de l'État de New York au Congrès des États-Unis, contraint d'admettre en début de semaine qu'il avait envoyé des photos de lui en tenue légère, via Twitter, à des femmes rencontrées en ligne. En plus d'avoir eu «plusieurs conversations pas convenables» sur les réseaux sociaux.
Le vilain garçon, que ses responsabilités auraient déjà dû inciter à la prudence, est pourtant affublé – ça ne s'invente pas – d'un nom qui permet peu l'incartade. Weiner se prononce en effet, en anglais, comme la bien connue marque de saucisses à hot-dog, en plus de désigner la principale distinction physique entre l'homme et la femme.
Comment des personnages qui ont tant à perdre peuvent-ils déraper à ce point, sachant qu'à l'ère du Net, la discrétion est une notion en indéniable voie d'extinction?
Une partie de la réponse se trouve sans doute dans une strophe de Grand Corps Malade, dont on pourrait faire le slogan de notre époque:
C'est à cause de c'combat qui s'agite dans notre corps
La tête, le cour, les couilles discutent
Mais ils sont jamais d'accord
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Sale temps pour les puissants, tout de même, tenus de marcher au pas comme jamais. Avez-vous déjà réalisé combien serait différente la face du monde si l'histoire n'avait pas toléré les dirigeants portés sur les fesses?
Amusez-vous à retirer des livres d'histoire Kennedy, Mitterrand, Trudeau… Des élus qui auraient eu du mal à composer avec l'éclairage permanent que l'on jette aujourd'hui sur les personnalités publiques.
Sale temps pour les puissants, donc, qui doivent se montrer aussi droits que des hommes d'Église.
Quoique là encore… Vous avez lu Sexe au Vatican, l'enquête menée par Carmelo Abbate sur les dessous du Saint-Siège? Prêtres en virées dans des clubs de danseurs, folles relations avec des prostitués, agressions sexuelles sur des religieuses, avortements forcés… Il semble qu'on rigole bien place Saint-Pierre.
L'un des passages les plus savoureux du livre, qui vient de paraître au Québec, est certainement cet échange avec un ecclésiastique surnommé «Ciaotesoro», repiqué sur un forum gay:
– Ça te plairait de faire ça dans la chapelle?
– Mon Dieu… Ce serait fabuleux. C'est possible?
– Oui.
– Putain, je veux venir. Même pour pas longtemps.
Il faut croire que dans son infinie miséricorde, le Très-Haut ferme bien souvent les yeux sur les aventures de ses hommes.
Quant à nous, pauvres pécheurs, nous assistons, sans plus savoir à quel saint nous vouer, au sulfureux spectacle venu nous rappeler qu'au fond, ce n'est ni Wall Street, ni le G8, ni la Chine qui mène le monde.