Mots croisés

Le crétin de Damas

Il y a les canulars spectaculaires. Par exemple celui, historique et involontaire, d'Orson Welles.

Le 30 octobre 1938, dans le cadre de l'émission radiophonique Mercury Theatre on the Air, sur les ondes de CBS, Welles présente une adaptation du roman La guerre des mondes de H.G. Wells.

Comme il a ramené l'ensemble du texte au je et qu'il le livre comme s'il s'agissait d'un bulletin de nouvelles, des centaines de milliers d'auditeurs le croient quand il annonce que des Martiens débarquent sur la Terre avec des intentions belliqueuses. C'est bientôt la panique généralisée, en particulier à New York. Il faut dire que la Maison-Blanche et le ministère de l'Intérieur tombent eux aussi dans le panneau et émettent des communiqués affolés.

Il y a les canulars plus spirituels. Celui grâce auquel Romain Gary, l'auteur des Racines du ciel, couronné du prix Goncourt en 1956, a joliment roulé tout le monde pendant des années en faisant passer l'un de ses neveux pour Émile Ajar. Ce pseudonyme sous lequel il allait remporter, à la barbe du tout-Paris littéraire, un deuxième Goncourt en 1975 (pour La vie devant soi) alors que ce prix ne peut être attribué à un même auteur qu'une seule fois.

Puis il y a les canulars pourris, fruits d'un esprit malade, qui nous laissent avec un goût amer en bouche et l'impression d'avoir une poignée dans le dos.

La planète entière a été furieuse d'apprendre, le 12 juin, que derrière Amina Arraf, cette blogueuse syrienne devenue l'une des plus touchantes incarnations du printemps arabe, se cachait en fait un abruti dénommé Tom MacMaster, un Américain basé à Édimbourg.

Amina avait tout pour plaire: jeune femme bien de son temps, homosexuelle assumée dans un pays où ce n'est pas particulièrement bien vu, figure emblématique d'une société criant son droit à la liberté.

Son blogue A Gay Girl in Damascus, devenu incontournable pour quiconque s'intéresse aux soulèvements dans leur dimension quotidienne, terre-à-terre, mettait enfin un visage sur les masses en colère.

Puis le 6 juin, coup de théâtre. Une soi-disant cousine d'Amina annonce que la nouvelle star du Web arabe a été enlevée en pleine rue par un groupe d'hommes armés. Stupeur de par le monde. Des comités de soutien s'organisent, on se fait un sang d'encre pour la rebelle au cour pur.

Eh bien beaucoup de bruit pour rien… Le véritable coup de théâtre survient quelques jours plus tard, quand MacMaster, devant les doutes soulevés par de plus en plus d'observateurs, sort de sa tanière et admet qu'Amina n'est que pure invention.

Nous avions vibré pour le fantasme d'un taré – doué, il va sans dire – dont la ligne de défense, depuis que son secret a été éventé, se résume à: je ne voulais faire de mal à personne, je voulais attirer l'attention sur des problèmes bien réels.

T'es un sacré farceur, Tom.

Le monde arabe se soulève, nous assistons à l'une des plus importantes révolutions dans l'histoire récente de l'humanité; nous voulons savoir, comprendre comment ça se passe sur le terrain pour les acteurs directs de ces révoltes populaires, en des pays où la répression est une tradition politique, et tout ce que tu trouves à faire, Tom, c'est inventer une jolie lesbienne qui blogue au cour du chaos…

On voulait y croire, on y a cru, on s'est fait rouler.

Tu sais, Tom, il y a une adresse où tu peux vivre tes fantasmes sans faire chier personne: www.secondlife.com.

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Pendant ce temps au Kébèk

Les canulars ne sont pas toujours là où on voudrait qu'ils soient.

On aurait préféré que Ô Kébèk, par exemple, soit une blague, un truc inoffensif venu alléger un brin l'ambiance dans un coin du monde politiquement égaré.

On aurait préféré, parce qu'on l'aime bien Raôul Duguay, parce qu'on voit en lui un authentique poète et un réel amoureux de la culture d'ici. Mais.

Alors que tout le monde tire sur son bord de la couverte souverainiste, alors qu'on s'étripe sous le fleurdelisé, que le bateau péquiste fuit de partout, la dernière chose dont nous avions besoin, mais alors là la toute dernière, c'était bien d'un hymne national, qui plus est pompeux et fleuri, né dirait-on de la rencontre de Daniel Boone, du Bonhomme Carnaval et de Yanni.

Sauf respect, que j'ai très grand, pour Raôul Duguay, et bien qu'il fasse bon baigner «dans les beautés de notre immensité», bon Dieu qu'on n'en est pas à créer un hymne national.

Raôul Duguay a répliqué à ceux, nombreux, qui ont peu goûté son ouvre en les traitant de «fédéralistes» et de «gens sans culture» (les propos sont rapportés dans Rue Frontenac). La première étiquette ne peut m'être accolée, la deuxième, je vous laisse en juger. Or pour moi une chose est certaine, le premier défi de ceux qui croient toujours dans ce projet de pays, en 2011, est de ne pas se montrer déconnectés de la réalité, une réalité où la sauce ne prend pas.

Pour reprendre la bonne vieille formule, ce n'est pas en tirant sur une fleur qu'on va la faire pousser plus vite.

Je conclus par ces mots, lus récemment dans un forum et qui traduisent bien la pensée de plusieurs, dont la mienne: «L'ambiance actuelle et l'absence de réalisations concrètes au Kébèk commandent plus une minute de silence qu'un hymne national.»