Beaucoup de
morts cette semaine. Difficile pour le chroniqueur de ne pas céder à la
tentation nécrologique.
On a envie de
tirer un dernier coup de chapeau à David Servan-Schreiber, qui aura consacré
une bonne partie de sa trop courte vie à améliorer celle de millions de
personnes.
On a envie de
saluer, à l'heure où tant d'autres profitent de sa mort pour y aller de leur
prêchi-prêcha antidrogue, le génie vocal d'Amy Winehouse, dont les airs fêlés
savaient faire danser nos âmes.
On a envie de
joindre notre voix à nous à celles de millions de Norvégiens encore sous le
choc devant la haine meurtrière qui a frappé leur péninsule, d'ordinaire si
pacifique (31 meurtres en 2010 pour 4,7 millions d'habitants).
Mais beaucoup
de choses ont déjà été dites sur ces morts-là. Ai-je quelque chose de bien neuf
à ajouter? Non. Alors je garde le silence. Et puis je me souviens, les poings serrés
au fond de mes poches.
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Toutes les
morts sont graves, mais en voilà une dont je confesse qu'elle me fait sourire un
peu. Le père de la cryogénisation Robert Ettinger s'est éteint à 92 ans, le 23
juillet. Pour le moment du moins. Son corps a évidemment été aussitôt plongé
dans de l'azote liquide, et qui sait si on ne le réanimera pas un jour, tout
comme la centaine de corps stockés à l'Institut de cryogénie qu'il avait créé
en 1976.
Cent personnes
ayant déboursé quelque 28 000 dollars chacune
pour un très hypothétique deuxième tour de roue. On se pince, évidemment. Mais
l'affaire est-elle bien différente de toutes les magouilles des charlatans de
la résurrection, des courtiers en éternité et autres Ron Hubbard qui pompent du
fric aux plus crédules d'entre nous?
La
cryogénisation n'est, au fond, qu'une variation sur l'antique thème de la vie
après la mort. Pourquoi risquer de se voir refuser l'entrée au ciel quand pour
28 000
dollars, péchés sur la conscience ou pas, on peut s'offrir une
réincarnation sous supervision médicale?
Fait à noter:
Robert Ettinger est désormais «congelé» aux côtés de ses deux épouses, qui ont
subi le même traitement posthume. Vous imaginez la pagaille si le trio est un
jour ramené à la vie? Robert aurait un peu couru après…
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L'un des
meilleurs moyens de se reposer des hommes et de leurs idées fixes est de
fréquenter les insectes. Je ne blague qu'à demi. J'assistais samedi dernier à
la présentation aux médias des nouvelles installations de l'Insectarium de
Montréal et, pendant que mes descendants surexcités couraient d'une mygale à un
scorpion, d'une termite à un scarabée, je pensais à la différence fondamentale
entre nous et ces habitants de la terre et de l'herbe.
En observant
des abeilles affairées à leur production, entièrement dédiées à leurs méthodes
millénaires, à leur rôle clairement défini, je me disais qu'il y avait quelque
chose d'enviable dans le fait de traverser la vie sans questionnement
existentiel, sans le désir fou de décrypter et de déjouer la mort.
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J'apprends à l'instant une autre disparition, alors même que je boucle ce
billet. Celle d'Agota Kristof, dont le nom est synonyme pour la plupart d'entre
nous d'une lecture inoubliable: Le Grand Cahier.
Paru en 1986, ce roman présentant deux jumeaux dont l'imaginaire est
fortement conditionné par la guerre et par la méchanceté d'une grand-mère
despotique traduit à lui seul une bonne partie des dérives du XXe
siècle.
Une ouvre à lire et relire, ou encore à redécouvrir à travers la très
réussie adaptation pour le théâtre qu'en a faite en 2009 Catherine Vidal, qui
reprendra l'affiche à compter de janvier 2012, aux quatre coins du Québec cette
fois.
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Juillet s'étire,
le bruit des enfants monte à la fenêtre, Osheaga va bientôt faire danser nos
âmes abruties de chaleur et de drames. Gardons les morts dans nos prières, ou à
tout le moins notre mémoire, et mettons un pied devant l'autre sur cette planète
où tant reste à faire.