Le petit monde des arts de la scène montréalais est tout énervé. Il y a un bail, il faut dire, qu’un nouveau lieu dédié au théâtre n’a ouvert ses portes en ville. Sauf erreur, la dernière fois c’était en 1995, alors que l’Usine C accueillait ses premiers spectateurs.
Cette semaine verra donc le baptême des Écuries, un espace regroupant six compagnies et sept directeurs artistiques. Aux Écuries, c’est le fruit d’un rêve fou devenu réalité, le rêve d’un théâtre où la création a une longueur d’avance, et même deux, sur les lois du marché; où la lecture que l’on propose de notre société n’a rien d’une peinture à numéros.
J’ai obtenu copie d’un manifeste qui sera lu durant la soirée inaugurale, le 14 octobre. Un texte haletant, incisif, inquiet mais lumineux, dont je me permets de citer de courts extraits.
Loin de moi l’idée d’éventer l’acte de naissance, mais je ne peux m’empêcher de rebondir – cette chronique s’appelle Mots croisés, après tout – sur quelques phrases particulièrement porteuses. Voyez-y une invitation à lire le reste dès sa mise en circulation.
Je suis en quête des idéaux que nous avons égarés.
Je marche pour retrouver les fondements de notre collectivité.
Comme ces mots résonnent dans le Québec de 2011. Combien d’entre nous ont l’impression de voir s’effilocher jour après jour, au fil des scandales et des manœuvres politiciennes, une certaine idée de notre société. Un peu comme si le béton de nos infrastructures venait illustrer un modèle social fissuré autant qu’une classe politique présentant de claires traces d’usure.
Difficile par ailleurs de ne pas penser aux indignés du mouvement Occupons Wall Street, et à tous ceux qui à travers le monde expriment ces jours-ci un ras-le-bol devant les rouages affolés du capitalisme.
L’individualisme, le conformisme et la passivité sont les fléaux de notre époque.
Les exemples pullulent, évidemment. Le plus criant étant le bruit somme toute modéré que causent dans la population les combines de plus en plus flagrantes auxquelles se sont adonnés pendant des années les bonzes de l’industrie de la construction et leurs interlocuteurs municipaux et gouvernementaux.
Bien sûr on fait les yeux ronds, bien sûr on réclame une commission d’enquête, mais les manifestations organisées pour décrier ce qui pour la démocratie a tout d’un cancer ne rassemblent que quelques centaines de personnes, ce qui nous laisse avec l’impression nauséeuse que Jean Charest, avec ses deux-trois pirouettes habituelles (un voyage à l’étranger, un silence de quelques semaines…), va peut-être bien s’en tirer encore une fois.
Ceux qui voient des oranges bleues ont le devoir de les dépeindre.
J’adore cette phrase. Elle lance un défi au créateur. Elle enjoint à celui-ci de dire ce qui n’est pas nécessairement facile à dire, ni à montrer. Elle le contraint au courage.
Alors qu’au Théâtre du Nouveau Monde, pour n’en nommer qu’un – TNM auquel nous tirons au passage notre chapeau pour 60 années d’un théâtre souvent de qualité -, on a l’impression qu’il y a de plus en plus de place pour le divertissement et de moins en moins pour les propositions qui aiguillonnent véritablement nos contemporains et leurs certitudes, on se réjouit de l’ouverture d’une maison propice aux prochains Gauvreau et autres cueilleurs d’oranges bleues ou vertes.
Dernière pépite de ce texte inédit, qui en compte des centaines, adressée celle-là aux petits pharaons modernes qui amassent le matériel comme s’il allait les suivre dans l’au-delà:
J’ai besoin d’un théâtre plus que d’un condo.
Bienvenue aux Écuries.
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Les sept aventuriers ont pour noms Sylvain Bélanger, Olivier Ducas, David Lavoie, Francis Monty, Annie Ranger, Olivier Choinière et Marcelle Dubois. À lire en pages théâtre, l’entrevue que ces deux derniers ont accordée à ma collègue Elsa Pépin.
Bienvenue aux Écuries.
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