Il y a une chose qui me met encore plus mal à l’aise que de voir, depuis quelques jours, les autorités municipales des métropoles d’Occident démanteler les campements des indignés.
Il y a quelque chose qui me trouble encore plus que de voir ces maires et conseillers aligner des arguments aussi techniques que désincarnés, au bout de quelques semaines d’une indulgence qui me fait penser à celle d’un mononcle devant un gamin jouant aux petites autos dans ses platebandes («c’est correct, mais reste au bord»).
Le manque d’imagination.
Plus j’y pense et plus ce qui me désole, c’est le manque d’imagination.
Tout le monde – y compris les indignés, par la force des choses – se perd en propos d’ordre sécuritaire et réglementaire, a cent lieues de ce qui est vraiment en jeu. Un peu comme si, sur le Titanic en train de sombrer, on faisant grand cas d’une bande de gamins occupés à construire des châteaux de cartes sur le pont.
Ajoutons, pour que l’analogie soit complète, que les gamins en question ont justement pour projet d’illustrer la fragilité des choses. Or, tout ce qu’on retient de leur action, c’est qu’ils gênent le passage.
La voix des indignés me fait penser à celle qui parfois vient tarauder notre conscience. La petite voix qu’on voudrait ne pas entendre mais qui insiste, installe peu à peu la conviction qu’on ne peut pas faire comme si de rien n’était.
Ce monde n’a peut-être pas encore plongé dans l’abîme, il n’a peut-être pas encore heurté son iceberg définitif, mais sa coque est bien cabossée, comme en témoignent des marchés financiers intoxiqués par leurs propres méthodes, incapables de retenir les leçons du passé, de même que toutes les statistiques sérieuses concernant l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres.
(Entre 1980 et 2005, au Canada, cet écart s’est accentué continuellement. Selon le recensement de 2006, les travailleurs les moins bien payés recevaient 20% de moins qu’en 1980. Le revenu des plus riches, lui, s’accroissait pendant ce temps de 16%. Nous connaîtrons quelque part l’an prochain les résultats du recensement suivant, mené cette année. Mais on peut présumer, sans avoir de vastes connaissances en économie, que 2008 n’a pas arrangé les choses.)
Comment se fait-il que nous déployions beaucoup plus d’énergie à déloger les indignés qu’à réfléchir avec eux à des moyens de moduler leur formule?
Comment se fait-il que la mairie de Montréal, d’abord conciliante, voire sympathique à la cause, ne propose pas de solutions alternatives? Des lieux sécuritaires, au chaud, pour poursuivre cette lutte qui nous concerne tous. Salles communautaires, gymnases… Ou encore mieux: pourquoi ne pas signer une entente avec l’UQAM pour transformer le très inutile îlot Voyageur en îlot d’indignation?
On pourrait en faire un lieu organisé, ouvert à tous, une sorte de porte-voix géant pour exprimer les colères populaires.
On pourrait transformer un fiasco en grande vigie citoyenne.
Ce qu’il y a de plus grave dans cette histoire, je vous le dis, c’est notre manque d’imagination.
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Il a fait pas mal de bruit, notre spécial alphabétisation. Vous êtes nombreux à nous avoir écrit, la plupart pour applaudir et s’inquiéter avec nous de la situation, quelques-uns pour dire que nous charrions avec des chiffres aussi alarmants.
Nos textes vous ont fait réagir en tout cas, c’est déjà beaucoup. Nous espérons maintenant qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’épée dans l’eau et que chacun saura poser un geste pour faire reculer le «noir analphabète».
En attendant qu’un parti politique fasse preuve d’un peu d’imagination et place au cœur de sa plateforme ce parfait exemple d’une maladie sociale qu’on s’évertue à ne pas voir.
« (…) Aussi appelons-nous toujours à une « véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. »
À ceux et celles qui feront le XXIe siècle, nous disons:
CRÉER, C’EST RÉSISTER.
RÉSISTER, C’EST CRÉER.»
Extrait tiré du texte « Indignez-vous » de Stéphane Hessel
C’est le passage du livre qui m’a le plus interpellée avec des mots porteurs comme résister et créer. J’aime aussi le vôtre, monsieur Malavoy, soit « imagination ».
Oui, j’admire ces femmes et ces hommes qui ont démontré leur mécontentement en érigeant des tentes sur la place publique et en tentant de faire passer leur message auprès de la population.
Oui, il était temps de mettre fin à ce moyen de pression, devenu dangereux non pas seulement en raison du froid, mais de la présence d’itinérants et de personnes seules au monde souffrant de maladie mentale. Deux principales raisons – aux côtés de la pauvreté et de la misère urbaine – de nous indigner chaque jour collectivement.
Non, je ne réussis pas à adhérer au discours qui m’est proposé. D’autant plus que les discours – j’en écris – sont souvent un amalgame de mots clés, de phrases chocs et de slogans. Mais au delà des mots, que reste-t-il ? Que fait-on ? Est-ce que l’on aurait pu boycotter le Journal de Montréal pour le traitement réservé à ses employés ? Ou encore le journal gratuit 24 H dont les mêmes dirigeants viennent de procéder à de grasses coupures de personnel ? Peut-être…
On a tendance à faire la comparaison avec les mouvements de révolte du printemps arabe. Par respect pour ces peuple qui ont affronté et affronte encore, parfois dans le sang, leurs dirigeants devenus dictateurs, je pense que nous n’avons pas le droit de le faire. Car dans nos sociétés occidentales et riches, nous avons le choix. Le choix de choisir nos dirigeants (vive la démocratie), le choix de consommer ou pas, le choix de parler ou non, le choix de résister ou non.
Or dans nos sociétés occidentales et riches, n’a-t-on pas lu que Apple a annoncé avoir reçu plus de 1 million de commandes pour son nouveau iPhone 4S au cours des 24 premières heures de sa commercialisation, un record pour l’entreprise américaine ? Oui, Steve Jobs était un génie créateur mais il était aussi un as du marketing. Adulé, il faisait pourtant partie de ce fameux 1 %…
– On a pu lire aussi que les succès de plusieurs modèles de 4X4 ou pick-up en septembre aux États-Unis ont stimulé les ventes de constructeurs comme Chrysler, General Motors et Ford, malgré la situation économique difficile au pays…
– Ici, pour lutter contre le surendettement des particuliers, qui succombent rapidement à un crédit trop facile, et prévenir une crise financière ingérable, le gouvernement a dû décider de prendre des mesures. Bien entendu, les banques sont en cause et devront revoir leurs façons de faire. Mais il est quand même déprimant de constater qu’il faut que ce soit nos politiciens qui nous rappellent à l’ordre..
Je fais partie de la classe moyenne, j’ai de la difficulté à boucler chaque fin de mois, et j’ai souvent des vagues de désespoir en écoutant nos nouvelles. Mais entre nous, on a la chance de vivre dans un endroit du monde où il fait bon vivre, où la possibilité de se faire une place (peut-être pas au soleil…) est réelle, et où les riches ont le droit d’être riches si cette richesse repose sur un travail assidu et paient l’impôt en conséquence (sauf peut-être ceux qui bafouent les lois et usent de paradis fiscaux).
Personnellement, je ne parviens pas à recevoir ce discours manichéen entre le bon et le méchant ou le riche et le pauvre. Quand on peut monopoliser nos nouvelles et même des tribunes (comme celle de Maisonneuve à l’écoute à la 1ère chaîne de Radio-Canada sur l’usage des bons pneus) sur la première tempête de neige qui tombe, oh surprise, un 23 novembre, je me dis que l’on ne doit pas être si malheureux dans notre coin de planète.
Pour revenir (enfin, allez-vous me dire !) sur notre manque d’imagination, il faut avant tout reconnaître que le Québec est riche. Riche de ses ressources naturelles (si on pouvait demander des redevances dignes de ce nom aux entreprises actives dans le milieu pour les transférer dans nos programmes sociaux, ce serait mieux), de produits, de culture, de l’apport de ses immigrants, de ses talents (même dans le domaine de la construction). Alors retroussons-nous les manches, retrouvons le sourire, relevons la tête et comme l’a dit si bien Dany Laferrière, sortons le Québec du Québec. Peut-être qu’en se comparant, on va se consoler. Bref, changeons de discours collectif et agissons chacun à notre portée sans attendre qu’un mouvement nous montre la marche à suivre.
(www.lydiecoupe.blogspot.com)
Ce blogue semble être la suite de celui titré «Indignés, bain chaud et désinfo». Je ne suis pas surpris de la suite des évènements. Ce qui vous semble être un manque d’imagination illustre en fait que même nos gouvernements se copient entre eux. Ces indignés me semblaient être une copie conforme d’un pays à l’autre et les gouvernements démantèlent ces installations de fortune, les unes après les autres, se copiant eux aussi. Je croyais que ce mouvement était apparu aux États-Unis alors qu’il semblerait que les jeunes espagnols avaient une longueur d’avance.
Lors de la faillite des banques américaines (2008-2009), le président français Nicolas Sarkozy avait même parlé de réformer le capitalisme, mais il semble que ce n’était que « parler pour parler ». Il avait toutefois l’avantage d’être en position pour faire ces transformations, en collaboration avec la haute finance, alors que ces jeunes indignés n’ont aucun moyen de changer quoi que ce soit. Ils sont tellement idéalistes qu’ils se cognent sur la réalité de « la rue » : inconfortable, pas sécuritaire et pleine de démunis pas toujours sociables. La contre-culture des années 60-70 était propulsée par un nombre important de boomers qui voulaient changer un monde bipolaire à l’occasion d’une période de prospérité économique : la situation actuelle est totalement différente, mais nécessite des corrections pour éviter de donner raison à Karl Marx.
De nouvelles images
Votre chronique est intéressante. Il est effectivement important de rappeler que l’imagination doit émerger de ce mouvement populaire pour qu’il perdure ici ou ailleurs, sous d’autres formes, puisqu’il dénonce, en somme, un modèle de société qui ne répond pas à ses aspirations.
Pour imaginer le monde de demain que nous voulons, il faut nous représenter nos volontés, nos aspirations, de toutes les manières, sans limite. Nos expériences sont le terreau sur lequel nous pouvons laisser germer des images fantasques, folles, utopiques, vivantes, vibrantes. L’imagination ne vient pas de nulle part et n’importe comment: il faut aimer imaginer, et il faut rêver régulièrement, encore et encore. Il faut s’abandonner à l’impossible, imaginer par couches successives pour que les images apparaissent, colorées, vives
Si notre imagination est suffisamment fertile, suffisamment nécessaire pour nourrir nos rêves d’une société faite par et pour nous, il nous sera facile de les partager, de les propager, et de persuader notre voisin que les fruits de notre imagination peuvent prendre vie et réalité.
Il existe de nombreux projets pour un monde de demain meilleur et plus fidèle à nos aspirations communes. Des voix expriment des visions, affichent des ambitions. Des réseaux se forment, grossissent.
Mais le chemin est parfois long avant que l’imagination de chacun se cristallise dans un projet de société, la marche est parfois lente avant que des projets disparates finissent par cristalliser, ensemble, un projet d’avenir viable et solide.
Je crois que le Québec est dans une phase d’émergence de projets fertiles. La population imagine, veut et s’exprime. L’indignation populaire rassemblée au square Victoria est une expérience qui doit se répéter. Un jour la vague peut devenir plus forte, au point d’imposer sa vision comme un solution possible.
Rien n’est joué, mais tout est permis, tout est possible.
À titre personnel je vais d’ici quelques jours contribuer à enraciner notre ambition en proposant des idées, des images de toutes sortes sur un blogue. C’est ma contribution, comme votre chronique, à l’expression de notre vouloir.
Stéphane Aleixandre
Le «manque d’imagination» est certes un facteur incontournable lorsqu’il s’agit d’aborder une situation préoccupante, dont la possible solution est loin d’être évidente.
Mais, une chose m’a toujours parue certaine: en aucune manière les campeurs indignés ne m’ont parus faire le moindrement partie d’une éventuelle «solution», mais bien davantage ajouter au «problème».
Pas par mauvaise foi de leur part. Plutôt par utopie béate…
Quand on veut changer quelque chose, faire avancer un point de vue, on se retrousse les manches, on se triture les méninges, on planifie des actions sensées. On ne fait pas du camping.
Que le mouvement des indignés ait connu une vague de popularité dans plusieurs pays n’a rien d’étonnant. Et qu’en bout de ligne cette vague n’aboutisse à rien du tout ne surprendra pas davantage. De la protestation et du rouspétage en lieu et place de présenter une petite avenue réaliste de solution au problème décrié, cela ne sert à rien. Grosse perte de temps.
Personne ne changera jamais le monde en faisant du camping.
Bonjour encore une fois, Claude Perrier.
Vous parlez de recherche d’une solution et vous avez bien raison. Moi je pense qu’en ce qui concerne l’actuelle conjoncture marquée au sceau d’une énorme indignation, de nombreuses personnes peuvent formuler assez bien ce dont elles ne veulent plus. Mais elles n’arrivent pas à bien exprimer ce qu’elles voudraient comme solution de rechange.
Je pense que depuis la chute du communiste, les «dissidents» du monde capitaliste sont quelque peu hésitants. Le communisme a été un échec retentissant. Il semble qu’un élément de solution, ce serait une forme de socialisme ou de social-démocratie. Mais le mot «socialisme» fait encore peur à de nombreuses personnes et je les comprends.
En fait, le «rêve», ce serait de civiliser et d’apprivoiser le capitalisme, de le rendre plus «social», plus «égalitaire», moins dévastateur. Mais est-ce possible?
JSB
On appelle souvent l’imagination LA FOLLE DU LOGIS. On dirait que la folle s’est tapie quelque part, dans l’ombre. Quant au logis, celui des indignés va bientôt être «néantisé».
JSB
Au moment où j’écris ces lignes, l’indignation et la «folie» restent intactes, me semble-t-il, mais le LOGIS (de la «folle» et des«fous») est en train d’être démantelé.
Il reste le rêve et la chimère, le mot étant pris dans le sens le plus positif et le plus limpide du terme. Je répète souvent que nous avons besoin de FLÛTISTES DE L’ESPOIR, de «rêveurs» pragmatiques qui savent nous enchanter et nous stimuler un peu, comme certains flûtistes savent charmer et enchanter les serpents.
En ce qui me concerne, je reste indigné lorsque je jette un coup d’oeil sur l’état actuel de notre monde, ce monde qui produit des richesses «fabuleuses» sans être capable de les redistribuer et sans respecter l’environnement, les travailleurs et les chômeurs.
Je reprends le père Ubu (personnage créé par Alfred Jarry) qui hurlait: MERDRE!
JSB
Bien sûr qu’il y a amplement de quoi s’indigner du manque de considération à l’égard de tant d’autres que le «système» des plus favorisés continue d’imposer comme modus vivendi, cher Monsieur Baribeau.
Personne ayant la moindre décence ne trouverait à vous contredire là-dessus.
Mais la «solution» ne passe pas par le camping…
À mon avis, du moins.
Claude Perrier, vous avez tout à fait raison. J’avais d’ailleurs «commis» un texte dans lequel je me demandais comment on pense contester un système très puissant en faisant du camping pendant tout un hiver.
Rassurez-vous, je n’ai aucune illusion en ce qui concerne l’absurdité d’une telle formule. Par ailleurs, la tartufferie du brave maire Tremblay m’irrite au plus haut point. Mais ce serait là un tout autre débat.
AU PLAISIR!
JSB
Monsieur,
À la lecture de votre chronique intitulée «Le manque d’imagination» dans l’édition du 30 novembre 2011 (page 6) et de la référence à l’Université du Québec à Montréal en rapport avec l’Îlot Voyageur, je crois utile de vous informer que, depuis le 17 novembre 2010, l’Îlot Voyageur relève de la responsabilité juridique, administrative et financière de la Société Immobilière du Québec et que l’UQAM est totalement retirée du dossier. Je demande donc que cette information soit prise en compte dans d’éventuelles chroniques où vous évoqueriez l’Îlot Voyageur, ce dont je vous remercie à l’avance.
Claude Corbo
Recteur
Université du Québec à Montréal