On s’en souviendra de celle-là.
Dans la catégorie «année où tout craque de partout», 2011 est désormais inscrite en chiffres rouges.
Quand j’ai contacté notre photographe Jocelyn Michel pour préparer la une de la semaine, j’avais déjà en tête une tente sur une place vide, symbole de cette année marquée par de grandes flambées d’espérance un peu partout dans le monde, mais qui se termine, il me semble, en queue de poisson, en grand point d’interrogation.
Impression d’inachevé. Comme si le lendemain de veille avait précédé la fin du party.
À l’étranger comme ici, le fruit de l’indignation est encore bien incertain, que ce soit dans les pays arabes récemment «libérés» ou sur les places boursières d’Amérique et d’Europe. On se demande si, dans cette alternance de pas en avant et de pas en arrière, on avance bel et bien.
L’idée d’éclairer la tente de l’intérieur, c’est celle de Jocelyn. Je le remercie d’avoir allumé cette bougie, comme un cœur dans la ville froide, étourdie de vitesse.
Merci également à tous ceux qui, sur notre scène culturelle, ont allumé les bougies de leurs mots, de leur musique ou de leurs gestes. Quand vient le temps de repenser la société, l’art doit impérativement être convoqué.
Voici donc notre bilan 2011. Serez-vous toujours en accord avec nous? Sans doute pas, et de toute façon notre ambition n’est pas là. Nous brûlons d’ailleurs de connaître vos coups de cœur à vous…
Mais avant tout je me permets, en guise d’apéro, de lancer quelques fleurs, puis quelques tomates.
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Des fleurs…
Le 5 décembre, le gouvernement du Québec adoptait l’Agenda 21C, une série de résolutions plaçant la culture parmi les priorités de l’État, tous champs d’action confondus (nous en parlons cette semaine avec l’un des artisans du projet, Simon Brault). Bravo.
Le 14 octobre, le Musée des beaux-arts de Montréal inaugurait le nouveau pavillon Claire et Marc Bourgie, consacré à l’art québécois et canadien. Un espace – d’accès gratuit – qui manquait cruellement à la proposition muséale montréalaise. Bravo.
Bravo également au souvent critiqué Quartier des spectacles et à ses partenaires, qui cette année ont manifestement trouvé leurs repères. Ça se voit (la place des Festivals inspire enfin le rassemblement et les festivités; la pas si moche que ça Maison symphonique contribue au paysage urbain) et ça se sent (projets de développement ultérieur clairs, programmation tonique).
Des fleurs également pour les jeunes gens de théâtre qui ont fondé Aux Écuries, véritable incubateur pour une création qui bouscule. Nous vous suivrons de près.
…et des tomates
Dans la foulée de l’affaire Cantat, en avril, certains politiciens y allaient d’une démonstration de récupération électoraliste (nous étions à quelques semaines du scrutin fédéral) plus nauséabonde qu’une ruelle au temps du dégel. La palme de l’opportunisme va sans conteste à la peu regrettée ministre Josée Verner, qui promettait d’empêcher, si son parti était reporté au pouvoir, l’entrée de Bertrand Cantat au pays. Tomate et re-tomate.
Le résultat des élections nous a épargné d’avoir à supporter plus longtemps cette dernière, mais le gouvernement en question a raflé la mise, avec une majorité de sièges cette fois. Un cargo chargé à bloc suffirait à peine à l’exercice tant il y a, depuis, de tomates à lancer: annulation inexpliquée d’un soutien au Festival international de la littérature, surdité prononcée devant la contestation du projet de loi C-11 sur le droit d’auteur, coup de hache dans la subvention accordée au Wapikoni mobile, initiative de création audiovisuelle et musicale destinée aux jeunes autochtones, (insérez ici les haut-le-cœur de votre choix)…
On se réserve tout de même quelques tomates, bien grasses, adressées aux rabat-joie, Éric Duhaime en tête, qui ont dépensé beaucoup de calories cette année à miner la pertinence des indignés et à ne voir dans leurs campements que désordre public.
Ce à quoi l’écrivain belge Eugène Savitzkaya a trouvé la plus belle des réponses: «Un beau désordre vaut mieux qu’une inerte ordonnance.»
Je lis le Voir tous les samedi matin, depuis seize ans, maintenant. Seize ans que ce journal me permet d’être au cœur d’une actualité culturelle proche du pouls de la ville et de ses citoyens. Cette première page est la plus esthétiquement réussie, la plus pleine de sens et son titre le plus finement trouvé en seize ans! Un grand bravo et longue vie au Voir!
Aujourd’hui, c’est Noël. La plus grande fête commerciale de l’année, menant le bal devant la Saint-Valentin et l’Halloween, les plus proches concurrentes. D’autres, jadis du peloton, se démarquent de moins en moins.
Ainsi, le Jour de l’An n’a plus que les quelques secondes précédant son arrivée comme moment glorieux. Et la fête des Rois – l’Épiphanie pour celles et ceux qui se rappellent de son véritable nom – n’est plus le casse-dent-à-cause-de-la-petite-fève qu’elle a déjà été. Quant à Pâques, la fête de Laura Secord, celle-ci fait du sur-place depuis des années.
Faudrait qu’on voit à la ressusciter, ce à quoi devraient s’atteler les bonzes et autres opportunistes du marketing. Voir au-delà des lapins, des poules et des œufs en chocolat. En faire une extravaganza moins calorique en cette époque pseudo-santé (moins de sel, moins de sucre, moins de gras) et plus dépensière côté nouveaux gadgets ou autres vide-poches à la durée de vie éphémère.
Mais, vous demandez-vous peut-être depuis un moment, quel rapport tout ça avec l’année écoulée, les fleurs et les tomates ?
Tout. Absolument tout.
Vraiment ?
Tout à fait. Tandis que trop sont là à s’indigner, à y aller de leurs quelques grains de sable jetés dans l’engrenage, la roue bien huilée n’en continue pas moins de tourner à bon régime. La raison du plus fort ou celle du moins naïf sera toujours la meilleure.
Camper ? Moyen idéal pour se retrouver avec des engelures. Renverser des régimes dictatoriaux ? Servir d’ouvre-porte à une relève encore plus obscurantiste. Valoriser l’art et la culture ? Si on se satisfait d’une vie de bohème marquée au sceau de la précarité.
Comme on le constate aisément, plusieurs ont déplorablement fait fausse route en 2011. Espérons que ces irresponsables sauront se remettre d’aplomb au cours de l’année qui vient.
À titre de petit exercice salutaire, plancher quelque peu sur Pâques afin de trouver comment mieux profiter commercialement de l’occasion serait un bon premier pas…