Ça commence tout bonnement, ça n’a rien de spectaculaire. Un jour, le capitaine du bateau lance à l’équipage: «Enlevez-moi ces cordages inutiles. J’ai vu passer une goélette qui n’en avait pas et qui fendait néanmoins les flots… Et puis on en tirera quelques sous.»
Ça continue sans faire grand bruit. Si l’équipage lève parfois le sourcil devant les demandes du capitaine, il est aussitôt rassuré par la détermination de ce dernier, qui sait manifestement où il va.
«Vendez-moi les planches de la station de vigie», dit-il d’ailleurs un autre jour. «Mon regard porte loin, n’ayez crainte, nul besoin de poster un homme là-haut», ajoute-t-il pendant que l’homme en question se tasse dans un coin, à l’ombre du bastingage.
«Bradez-moi ces tonneaux et ces instruments de navigation, nous n’en filerons que plus légers sur les eaux», commande-t-il encore à ses marins, dont le cœur, mine de rien, laisse entrer le ver de l’inquiétude. «Il y a aussi ces coffres remplis de manuels et de cartes poussiéreuses, dans la cale, qui ne font que nous alourdir. Et puis nous en aurons besoin pour transporter nos prochains butins.»
Les marins n’osent pas demander au chef comment lesdits butins seront répartis, mais plusieurs ne cachent plus leurs appréhensions. Certains devinent le doute jusque dans la garde rapprochée du capitaine, qui, sourd au désarroi de ses hommes, continue de se dresser fièrement à la proue du navire, seul maître à bord et convaincu de son itinéraire.
Peut-être l’île aux trésors les attend-elle au bout des mers, mais nous ne le saurons jamais: le gros temps se lève soudain, le bateau fragilisé se met à tanguer. Le mât, le gouvernail et jusqu’aux parois de la coque, les parties vitales du bâtiment craquent fort. Ce qui hier encore était refuge menace d’entraîner l’équipage par le fond. «Balancez-moi tous les poids morts, ordonne le capitaine, l’heure est venue d’optimiser nos techniques de navigation.»
«C’est que nous allons couler, mon capitaine», répondent en chœur les marins qui, décidément, s’en veulent d’avoir suivi si loin ce flibustier de carnaval. «Ah, si seulement vous aviez bien planifié le voyage, les sermonne-t-il en prenant congé de l’embarcation condamnée, si seulement vous aviez comme moi un canot privé pour affronter les revers de fortune…»
Il leur envoie la main avant de poursuivre sa route vers les richesses que porte l’horizon.
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Ça commence tout bonnement, ça n’a rien de spectaculaire. Ça commence par une coupure que motive un argument simple: ailleurs on le fait bien.
Pendant un moment ça fait peu de bruit. Un pas vers une médecine à deux vitesses. Une passerelle vers un Québec où il importe de moins en moins de maîtriser le français. Un aller simple vers des universités plus ouvertes aux élites qu’aux autres.
Un à un, les fruits des grands combats d’hier tombent dans une relative indifférence.
Sauf que cette fois ça fait du bruit. Cette fois, des dizaines de milliers de jeunes et moins jeunes refusent que les acquis des dernières décennies soient joués à la va-vite à la grande loterie de la pensée néolibérale.
Sur le pont du navire, des dizaines de milliers de petits carrés rouges disent non.
Nous épinglons le nôtre et sommes debout à leurs côtés.
Pire torchon que j’ai vu sur la hausse des frais. Êtes-vous certain que Réjean Breton est pas votre ghostwriter? Des associations douteuses qui ont ni queue ni tête c’est sa spécialité.
Vous y allez il me semble un peu fort, mais votre avis m’intéresse. Vous ne voyez pas dans les politiques actuelles une grande braderie des acquis du dernier demi-siècle? Cette image de navire en péril sauf pour quelques-uns vous paraît à ce point excessive?
Excellent texte, superbe allégorie, Monsieur Tristan Malavoy-Racine.
Mais je ne partage aucunement le raisonnement qui le sous-tend…
Certes, le gouvernement actuel québécois ne prend pas des décisions très populaires. Mais, en ce qui concerne les frais de scolarité, il serait irresponsable – pour la majorité des citoyens qui financent le coût – que ce gouvernement refile tout ça à cette majorité de citoyens.
Personne n’apprécie avoir à débourser davantage.
Et la majorité des citoyens non plus…
claude! dans ton « raisonnement », tu oublies de considérer que « la majorité des citoyens » profitent grandement du niveau de scolarité ambiant.
augmenter les frais entraine une baisse de l’accessibilité. sept mille étudiants en moins à chaque année!!
ne trouves-tu pas qu’il y a bien assez d’imbéciles comme ça, dans nos rues? demain, si tu continues à soutenir jean charest, il y en aura encore plus!!!
il n’est donc pas incongru que la formation de notre relève soit financée par toi et par moi, contrairement à ce que tu prétends.
La majorité des citoyens finance déjà la très grosse part des frais relatifs à l’éducation. Quelque chose comme 87% de la facture, actuellement.
La hausse tant décriée – surtout par des «excités» entraînant d’autres moins éveillés et avertis… – ne ferait que ramener la part des étudiants à 17% de la facture acquittée par la société. Avec le gros plus (+) pour tous les étudiants des diplômes plus valables car les universités pourraient être mieux pourvues.
Notre «relève», comme vous le mentionnez, mérite beaucoup mieux que les conséquences que pourraient entraîner la bêtise ambiante. Une bêtise orchestrée par quelques-uns syndicalement (!) peu intéressés par la réalité et apparemment bien davantage par leur propre gloriole.
Alors, qui devrait se taper ce 87% du coût de l’éducation supérieure? La classe moyenne? Ce que cette classe moyenne déjà étranglée fait depuis trop longtemps? Ou serait-il correct et raisonnable de demander un peu, un tout petit peu, une petite nouvelle fraction à ceux et celles qui profitent déjà des sacrifices de la majorité étranglée d’y aller d’un petit effort? Pour ne finalement payer qu’à hauteur de 17 % ce qui leur profitera longtemps après que nous aurons pour la plupart passé l’arme à gauche?
La «justice sociale» requiert que tous participent équitablement.
Même avec la presque insignifiante augmentation des frais de scolarité proposée, la «justice sociale» n’aura pas encore été atteinte pour la majorité des contribuables de la classe moyenne.
Alors, que l’on veuille cela étant manifester contre une mesure encore bien timide et insuffisante, et maintenant (du verbe «maintenir») une injustice à l’égard de trop de contribuables, je considère cela une honte. Une très grande honte.
@clade
ce qui est honteux c’est d’affubler une hausse de soixante-quinze pour cent des épithètes « petite », « insignifiante » et « timide ».
ce qui est honteux, c’est de ne pas reconnaitre que le niveau d’instruction d’une population fait partie du bien commun.
mais le pire, ce qui devrait te faire rougir, claude, c’est de refuser d’admettre que ti-jean, sous enquête pour corruption, n’a pas la légitimité nécessaire pour demander une plus grande contribution au trésor à qui que se soit.
En maximisant les droits de scolarité, on limite l’accès aux universités à ceux qui en ont les moyens. D’autre part, en limitant l’accès aux université seulement à ceux qui en ont les moyens sans trop s’endetter, on favorise les universités à privilégier les gens en moyen qui étudient quitte à diminuer les exigences aux cours et à l’accès aux diplômes.
Mon commentaire arrive en retard, mais peu importe, je me sens obligé de commenter. M. Malavoy, le texte est aussi éclatant que ceux de Carnet d’apesanteur. La parabole est superbe au niveau poétique et est drôlement efficace. Alors comme dirait Pierre Houde: Chapeau!
Pour le reste des commentaires négatifs j’aimerais, pour ceux qui liront ceci évidemment, vous amener à penser le débat autrement. L’ilot voyageur c’est plus de 500 millions de dollars engloutis dans du béton inutile. C’est 2 années et plus de hausse qu’on peut couper sans ce gaspillage. Le recteur de l’UQAM est grassement payé avec ses 180 000$… la rectrice de Concordia en fait 500 000 pour le même « format » d’université. Les montants alloués au « fonctionnement » de l’université servent trop souvent à des cocktails, des soupers et autres dépenses qui n’ont évidemment rien à voir avec l’éducation (besoin de parler de la facture pour les divans de l’Université Laval?)
Donc, on demande aux étudiants de se serrer la ceinture pour permettre les excès d’une gestion misérable de l’éducation. La grève n’est pas faite pour transférer un poids financier sur une autre tranche de la population que les étudiants. La grève sert en ce moment à dénoncer les politiques de Charest et à démontrer son manque de réelle volonté de régler le problème. Les emplois payants ne demandant pas d’études sont rarissimes, le domaine de la fabrication et de la transformation est largement envoyé en périphérie et nous assistons en ce moment à une convergence des grandes entreprises qui contrôlent une partie toujours plus grande de notre économie nationale. Si on ne veut pas être 5 millions à envoyer de cv dans des Wal-Mart faudrait commencer à penser à notre avenir car il se joue maintenant.
Beau texte…et combien pertinent!
Grosse déception: l’ineptie arrogante de certains commentaires, peu habituelle dans le VOIR. On n’est pas sorti…du bateau.
Vive les carrés rouges!